Christiane Altmeyer-Nourtier

« Une du Val-de-Marne »

Christiane est née à Paris. Elle avait à
peine 2 ans à la déclaration de guerre
en 1939, son frère avait trois mois.
Son père, mobilisé, puis prisonnier, sera
absent 6 ans.

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Sous l’occupation allemande, il a fallu vivre,
sa mère avait tout juste 20 ans.

Au retour, son père refusera d’accorder le
droit au travail pour sa mère : le clash se
finira en divorce, la galère va se poursuivre.
Christiane sera en révolte permanente. Ce
sera sans doute la source de son engagement
viscéral dans la lutte pour le droit au travail
des femmes.

En 2004, candidate à l’élection cantonale
dans l’Allier, elle écrira « Issue d’une famille
ouvrière, dès mon plus jeune âge, j’ai appris à me
battre contre la misère, les injustices, les inégalités, les
exclusions. J’ai quitté l’école à 13 ans et mes “universités”
je les ai faites dans la vie, le travail à l’usine,
les luttes, les expériences.
 »

Donc, à 13 ans, elle travaille à l’usine dans la
reliure-brochure avec des bulletins de paye
microscopiques pour des salaires qui le sont
tout autant. Jusqu’à 16 ans ce temps de travail
ne sera pas compté dans le calcul de sa
retraite. Quand, en 1997, elle l’apprendra, ce
sera un cran de plus dans sa révolte.

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Un bulletin de paye, 1951.
© IHS CGT 94

En 1956, révoltée elle l’est toujours lorsqu’elle
est embauchée, à 19 ans, chez Clin-
Byla à Gentilly. Filiale d’un grand groupe
pharmaceutique (500 salariés à majorité féminine),
ça n’a plus rien à voir avec les PME où
elle avait travaillé.

Sa première démarche sera l’adhésion à la
CGT et elle sera élue déléguée du personnel,
avec une dispense d’âge en 1958, puis au
Comité d’Entreprise.

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1967, 1re délégation de l’UD à Châteaubriant. Christiane, entourée de Roger Laurent, Michel Verdier, Michel Mourtier et Marcel Rousset.
© IHS CGT 94

J’ai rencontré Christiane en 1956. Elle venait
d’être embauchée à l’usine dont j’étais devenu le
premier responsable syndical. Je me suis présenté
et sa première affirmation a été “Je veux
adhérer à la CGT”. J’ai répondu qu’elle
venait de le faire.
Manifestement elle a cru que je plaisantais et
son regard s’est modifié. J’ai vite expliqué que
pour adhérer il fallait remplir deux conditions :
être salariée et en manifester le désir. Ce qu’elle
venait de faire.
Au bout d’un an si elle remplissait cette condition
pour devenir déléguée du personnel, il lui
manquait quelques mois pour l’âge de 21 ans
exigé. La demande de dérogation acceptée par
l’Inspection du Travail, Christiane fut présentée
et élue sans problème.
Le jour de la première réunion avec la direction,
Christiane était un peu anxieuse mais ça
n’a pas duré. Elle découvrit l’hypocrisie patronale
 : “Nous sommes tous dans le même
bateau... Il faut être solidaires... etc.” mais
le représentant du patronat a découvert, lui, ce
que pouvait être une combattante. Ayant cru
pouvoir l’interpeller “Ma petite dame”, il
encaissa une réponse en rafale qu’il eut bien du
mal à digérer. Après des excuses Christiane était
devenue “Mademoiselle Altmeyer” et le plus
intéressant c’est que cette passe d’armes a fait le
tour de l’usine avec comme résultat : les ouvrières
devinrent respectables. Je crois que ce fut sa première
victoire.

Au cours des luttes qui ont jalonné les débuts
de la 5e République, elle sera élue au Secrétariat
de la Fédération de la Pharmacie-Droguerie,
puis, à la naissance de l’UD CGT du Val-de-
Marne en 1966, membre de son bureau.

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1968, l’usine Byla est occupée.
© IHS CGT 94


Ce qui marque un tournant dans notre vie, c’est
cette fin d’après-midi en 1964. C’était le début de
l’été, nous étions assis à la terrasse d’un café, Porte
d’Orléans à Paris, je la ramenais chez elle comme
d’habitude après je ne sais plus quelle réunion,
quand j’ai croisé son regard. Je ne l’avais jamais vu
ainsi et en moi s’est déclenché quelque chose que je
ne croyais pas exister le coup de foudre ? Ou plutôt
l’aboutissement irréversible d’une rencontre de
1958, en tout cas si un moustique était passé entre
nous, il n’aurait pas survécu.
Fin 1967, je dois quitter l’entreprise pour
devenir “syndicaliste professionnel” sur le plan
local et départemental malgré un salaire moins
élevé. Pour me remplacer, Christiane a été élue et ce sera sa deuxième grande victoire : pour la première
fois dans cette usine à majorité féminine,
une femme devenait première responsable syndicale.
Six mois après la grande vague revendicative
de mai 1968 se déclenchait. Le personnel, à
une importante majorité, décida de la grève avec
occupation des locaux. Elle durera trois
semaines. Christiane mènera cette affaire de
main de maîtresse. C’est que ce n’était pas rien à
organiser. Elle commença à s’entourer d’une
équipe, hommes et femmes, constituant le comité
de grève qui s’attela aux différentes tâches :
Comment dormir et où ? Comment se nourrir ?
Comment se laver ? Comment veiller à la sécurité
et à l’entretien des machines ?

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Christiane dans son bureau, rue Tirard à Créteil.
© IHS CGT 94

Comment organiser
les tours de garde, les relations avec l’extérieur,
la gestion des stocks de médicaments pour
approvisionner les pharmacies en manque ? etc.
Et pas le moins important : quel contenu donner
aux réunions avec la direction ?
Tous ces problèmes ont trouvé leurs solutions.
De plus comme Christiane portait dans son
ventre un peu de vie qui, six mois plus tard s’appellerait
Nathalie, il fut décidé, à l’unanimité,
qu’elle rentrerait tous les soirs chez elle et par
précaution, une équipe l’accompagna durant toute
la durée de la grève.

À la reprise, le bilan s’établit avec du bon et
du moins bon comme dans tout compromis, l’essentiel
 : salaires et conditions de travail étant
dans le bon. La vie reprit son cours normal avec
dans l’air comme un fond de solidarité, de complicité
de camaraderie qui présidait aux relations
entre salariés.

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Le 8 mars 73, Journée internationale des Femmes.
© Studio Hermann
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À la tribune Mme Minh, représentante du Gouvernement de la République Populaire du Vietnam, à sa gauche, Christiane Gilles et Christiane Altmeyer.
© Studio Hermann

Début 1968, elle devient la première femme élue
Secrétaire du Syndicat Clin-Byla et, dans la foulée,
organise et mène à bien, avec de nombreuses
femmes, la grève de 3 semaines avec occupation.

Fin 1969, elle négocie (chose très rare dans le
secteur privé) un congé sans solde de 3 mois
pour participer à l’activité de l’UD. Réintégrée à
l’usine elle en repart fin 1970 pour remplacer, au
Secrétariat de l’UD, Marion Liandrat – une
figure du combat pour les droits des travailleuses
– qui part en retraite. Elle y militera
6 ans ; son passage sera marqué, entre autres
activités, par sa volonté de dépasser les seules
dates des 8 mars, pour promouvoir les revendications
des travailleuses, avec la diffusion
d’Antoinette, magazine féminin de la CGT, ce
sera son principal cheval de bataille.

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Nathalie Nourtier en manif à Créteil vers 1976. Pancarte confectionnée par Nathalie avec Bernard Jourd’hui. À gauche de Nathalie, Jacqueline Tarty. On devine Marcel Rousset derrière la pancarte.
© IHS CGT 94

Élue à la CE de la CGT au Congrès de
Grenoble, elle intègre, en 1976, le staff confédéral
au secteur Main d’oeuvre féminine.
- Siéger au Comité du Travail féminin avec
Christiane Gilles ;
- Garder le contact avec le « terrain » à l’UD
de la Haute-Vienne ;
- Impulser des initiatives d’actions dans les
départements ;
- Participer à plusieurs conférences et délégations
internationales ;

Ce seront là ses principales activités durant six
années.

Par ailleurs, en 1977, elle sera élue Conseillère
municipale à Gentilly.

En 1983, le niveau de syndicalisation baisse
depuis quelques temps, des économies s’imposent
à la CGT, le secteur Main d’œuvre féminine, avec
d’autres, est mis en sommeil et Antoinette va
bientôt cesser sa parution. Christiane est réélue
Conseillère municipale et devient Maire-adjointe
chargée des personnes âgées.

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Michel et Christiane avec leur petit-fils William.
© IHS CGT 94

Dans le même temps elle rejoint la Fédération
des Mutuelles des Travailleurs qui lui confie
l’objectif de développer la Mutualité en Seine-et-
Marne. Elle s’attachera, d’une part à multiplier
les sections mutualistes d’entreprises (un certain
nombre existent déjà) et d’autre part à créer un
réseau des Mutuelles locales. Elle y parviendra à
Meaux avec des relais à Provins et à Nemours,
et mettra en place une UD des Mutuelles. Mais
il faut trouver des adhérents.

Christiane sait faire : il faut y aller et elle va
au contact des gens. Bientôt, avec quelques 2000
adhérents, elle va faire fonctionner une unité en
autonomie, percevant les cotisations, délivrant les
prestations, assurant la gestion. Comme le département
est très étendu, elle va créer des points
d’ancrage à Provins, Nemours, Champs-sur-
Marne, Dammarie-les-Lys et mettre sur pied
l’Union Départementale pour assurer la solidarité
entre les différentes sections mutualistes.

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2003, une réunion à Bellenaves dans l’Allier.
© IHS CGT 94

Restant en contact avec l’UD-CGT de Seine-et-
Marne elle va initier, en partenariat avec la
Municipalité de Meaux, des séries d’actions de
dépistages de la vue dans les écoles maternelles,
bucco-dentaires dans les écoles primaires ainsi
que des actions d’information dans les collèges
et les lycées sur les drogues, l’alcool, le tabac, le
sida...

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Liane, sa petite-fille de 8 ans et son immense jument.

Fin 1997, le départ en retraite. Mais pour
Christiane ça ne veut pas dire retrait de la vie
sociale et politique. Elle va s’impliquer dans l’action
pour les droits des femmes en milieu rural,
mais il n’y a pas beaucoup de soutien. Les batailles
politiques de 2002, 2005, 2007 vont la solliciter.
Mais l’élection cantonale de 2004 sera son dernier
combat mené avec toutes ses facultés. Elle ne le
sait pas encore, mais la maladie d’Alzheimer a
déjà entamé ses dégradations.

Christiane nous a quitté le 26 novembre 2010.
Elle avait 73 ans.

Michel Nourtier