J’ai honte

Ce n’est pas que je crois au génie national, chaque médaille à son revers et je sais que l’histoire de France est peuplée de crimes odieux commis par nos compatriotes.

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Stigmatisés aujourd’hui comme hier
D.R.

Mais il se trouve aussi que les grandes heures du pays, les écrits que cela inspira à nos penseurs d’alors, ont su marquer la conscience collective bien au-delà des frontières. Le siècle des Lumières, la Révolution, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ont imposé de la France cette image d’un pays épris de liberté et de justice sociale. Et voilà qu’un gouvernement légitimement élu, vient de salir cette image au point que la communauté internationale a cru de son devoir de nous rappeler à l’ordre. Faut-il croire que ce gouvernement coupé de toute base sociale, par l’injustice de sa politique, n’ait d’autre recours que de réveiller les vieux démons de la peur de l’étranger pour tenter de rallier à lui tout ce que la France compte d’électeurs d’extrême droite ? Pourtant notre Constitution comme la Déclaration des droits de l’homme sont clairs : « nul ne peut être discriminé de par ses origines ou le seul fait d’appartenir à telle ou telle communauté  ».
Ce principe ne souffre aucune exception. Chacun connaît les persécutions dont les gens du voyage ont été l’objet partout en Europe depuis des siècles. Du Moyen-Âge à l’Allemagne nazie, la persécution de ces peuples a toujours été annonciatrice des périodes de barbarie.
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Pour autant, je ne sais pas si nous avons toujours raison de dire que ce gouvernement agit comme hier agissait celui de Vichy, je crains que nous n’utilisions la comparaison que par difficulté à nommer ce à quoi nous assistons et qui est une politique nouvelle, où le capitalisme financier parvenu à ce stade a besoin d’une autre société, où les solidarités ne se construiraient plus dans le travail mais naîtraient de l’identité culturelle des uns ou des autres.

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Le Camp de Montreuil-Bellay
D.R.

À bien y regarder, l’exclusion et le communautarisme sont les deux volets d’une même politique, où le patronat a besoin que l’individu se reconnaisse dans sa filiation, sa culture, son histoire beaucoup plus que dans sa place dans la production.

La division de la société en classe fait peur ; elle porte en elle le germe de la révolte de la classe qui ne possède que sa force de travail, contre la classe qui l’exploite. Le patronat le sait et tente de substituer à la division des classes des divisions selon la communauté.
Les attaques contre la laïcité vont dans ce sens. La mise en avant de l’identité nationale comme la définition du Français de souche, participent de cette politique.

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Le Camp de Montreuil-Bellay
D.R.

L’attaque contre les Roms n’est que la partie immergée de cet iceberg.
Ironie de l’histoire, au moment où cette communauté se voit à nouveau stigmatisée, le camp d’internement de Montreuil-Bellay, Maine-et- Loire, vient d’être classé monument historique. C’est là où dès novembre 41, le gouvernement de Vichy interna plusieurs milliers de Tziganes. Mais plutôt que de rajouter un discours à ceux forts heureusement nombreux qui sont venus dénoncer la politique du gouvernement français, je voudrais laisser la parole au poète Federico Garcia Lorca qui, entre 1924 et 1927, dénonça les persécutions dont les Tziganes étaient victimes dans l’Espagne d’alors.

Tout dans ce poème annonce l’histoire qui va suivre :

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Federico Garcia Lorca
D.R.

Romancero de la garde civile

Les chevaux sont noirs. Noirs aussi leurs fers. Sur les capes reluisent des taches d’encre et de cire. Ils ont du plomb dans le crâne, c’est pourquoi ils ne pleurent pas. Du cuir ! Du cuir verni en guise d’âme ! Nocturnes et bossus, là où ils passent, ils sèment des silences de gomme obscure et des peurs de sable fin. Ils passent s’ils veulent passer. Ils occultent dans leur crâne une vague astronomie de virtuels pistolets.

Oh cité des gitans, tes bannières au coin des rues ! La lune et les potirons, les griottes en conserve. Oh cité des gitans, qui, t’ayant vue, pourrait t’oublier ? Cité de douleur et de musc, crénelée de cannelle.

Quand arrive la nuit, nuit noire, noircie de noir, les gitans dans leurs forges, fabriquent des soleils et des flèches. Un cheval traîne sa mauvaise blessure de porte en porte. Des coqs de verre chantent dans Jéréz de la Frontéra. Le vent tourne tout nu le coin de la rue de la surprise. Dans la nuit d’argente nuit, nuit noire, noircie de noir.La Vierge et son Joseph ont perdu leurs castagnettes. Ils demandent aux gitans de voir à les leur retrouver. La Vierge vient vêtue d’un habit de mairesse, tout en papier de chocolat et de colliers d’amendes vertes. Saint-Joseph bouge les bras sous une cape de soie. Puis vient le père du Cognac avec trois sultans de Perse. La demi-lune rêvait une extase de cigogne. Étendards et lanternes envahissent les terrasses. Dans le miroir sanglotent des danseuses sans hanches. Eaux, sombres eaux, ombres dans Jérez de la Frontéra.

Oh cité des gitans, tes bannières au coin des rues ! Éteint tes vertes lumières car s’en viennent les grands méritants. Oh cité des gitans, qui, t’ayant vue pourrait t’oublier ? Laissez-la loin de la mer, sans peigne pour ses deux pans de cheveux.

Ils s’avancent deux par deux sur la cité de la fête. Une rumeur d’immortelle envahit les cartouchières. Ils s’avancent deux par deux, double nocturne de toile. Le ciel n’est plus pour eux qu’une vitrine d’éperons.

La ville sans peur multipliait ses portes. Quarante gardes civils y sont entrés pour saccager. Les horloges se sont arrêtées. Le cognac des bouteilles s’est travesti en novembre pour passer inaperçu. Un vol d’immenses cris a jailli des girouettes. Les sabres zèbrent les brises que les sabots piétinent. Les vieilles gitanes s’enfuient dans les rues de pénombre avec leurs chevaux endormis et leurs pots pleins de monnaies. Par les rues pentues montent les capes sinistres, Laissant l’air cisaillé de tourbillons fugaces.

Au portail de Bethléém les gitans s’amassent. Saint-Joseph plein de blessures ensevelit une donzelle. Des coups de feu aigus résonnent dans la nuit . De sa douce salive d’étoile, la Vierge soigne les enfants. Mais la garde civile s’avance semant des foyers où jeune et dénudée l’imagination est aussitôt cramée. La Rose, celle des Camborio est assise à sa porte, elle geint, les deux seins coupés, posés sur un plateau. D’autres filles courent poursuivies par leurs tresses, dans l’air où éclatent des roses de poussière noire. Quand toutes les toitures ne seront plus que sillons en terre, l’aube balancera ses épaules en grand profil de pierre.

Oh cité des gitans, la garde civile s’éloigne dans un tunnel de silence, tandis que les flammes t’encerclent. Oh cité des gitans, qui, t’ayant vue, pourrait t’oublier ? Qu on te cherche sur mon front. Jeu de lune et de sable.

Federico Garcia Lorca

Jacques Aubert
À télécharger :
Les tziganes dans l’exode de 1940

D.R.

JPEG mis en ligne le 17.12.2010 (60.1 ko)