Hommage

Merci monsieur Lévi-Strauss

Si mes pensées de jeunesse, je les dois à Karl Marx, je dois celles de l’âge adulte à
Claude Lévi-Strauss, sans que l’un n’efface l’autre.

C’est grâce à lui et à Tristes tropiques que j’ai compris que l’Occident, l’Europe, la France et à plus forte raison moi-même n’étions pas au centre du Monde. Qu’une vérité ici est un mensonge ailleurs, que l’homme n’est pas à côté de la nature mais en fait parti, que les vérités objectives n’existent qu’à travers les représentations que nous nous en faisons. Que l’histoire des hommes est aussi celle de leurs rites, que les religions avant d’être des croyances furent de formidables histoires qui permirent à l’homme de se construire. J’appris que le théâtre, la littérature, la culture comme la croyance en un monde meilleur sont autant de représentations qui nous aident à comprendre un monde dont en fait la réalité nous échappe si tant est que parler de réalité pour des chose dont nous ignorons tout ait un sens.
Je lui dois aussi, ma curiosité pour tous ces peuples, indiens, africains, asiatiques, esquimaux et européens même dont l’étude et la compréhension nous ouvrent à la richesse de l’humanité.

Je lui dois le goût des voyages à la rencontre des autres.
Je lui dois également la connaissance des structures de parenté et le rôle déterminant du matriarcat dans l’histoire de l’humanité. J’ai gardé de cela un penchant certain pour les théories féministes.

On me dit que Lévi-Strauss n’était pas un homme de gauche, mais c’est lui qui au moment de la célébration de la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb, s’était insurgé et avait rappelé qu’il ne s’agissait pas d’une découverte mais d’une conquête et qu’à cette occasion ce sont des millions d’Indiens qui avaient été massacrés.

On me dit que Lévi-Strauss était un anti-marxiste convaincu, mais c’est grâce à ses critiques souvent pertinentes que j’ai compris que le marxisme ne pouvait pas être une science figée et qu’il était nécessaire si l’on voulait le faire vivre de lui permettre d’évoluer en intégrant les sciences et les idées nouvelles.

On me dit que vieillissant il aurait succombé aux honneurs en acceptant de devenir académicien. Ainsi donc notre tribu française lui offrait l’occasion de porter des plumes et une arme comme les Indiens qu’il aimait tant et il aurait dû refuser cela ?

N’est-ce pas lui qui à l’Académie, un jour où l’on cherchait à définir ce qu’est le « goût rance » et que pour ce faire ses collègues s’ingéniaient a compiler les adjectifs négatifs et repoussants , devait rappeler que si notre dégoût n’était pas feint, il fallait quant même tenir compte du fait que pour la moitié de la planète, le rance est synonyme de délicieux.
Alors merci monsieur Lévi-Strauss, je vous dois beaucoup et plus encore que je ne saurais le dire.

Jacques Aubert