Littérature

Les Onze de Pierre Michon

Dans sa politique d’aide à la création littéraire le Conseil général du Val-de-Marne avait accordé une aide à la création à cet auteur. Dans sa séance du jeudi 29 octobre, l’Académie française a décerné son Grand Prix du Roman à Pierre Michon pour son livre Les Onze.

« Vous les voyez, Monsieur ? Tous les onze, de gauche à droite : Billaud, Carnot, Prieur, Prieur, Couthon, Robespierre, Collot, Barère, Lindet, Saint-Just, Saint-André. Invariables et droits. Les commissaires. Le grand comité de la grande Terreur. Quatre mètres virgule trente sur trois, un peu moins de trois. Le tableau de ventôse. Le tableau si improbable, qui avait tout pour ne pas être, qui aurait si bien pu, dû ne pas être, que planté devant on se prend à frémir qu’il n’eût pas été, on mesure la chance extraordinaire de l’Histoire et celle de Corentin. On frémit comme si on était soi-même dans la poche de la chance. Le tableau – peint de la main de la Providence, ainsi qu’on aurait dit cent ans plus tôt, ainsi que Robespierre le disait encore chez la mère Duplay comme s’il eût été dans Port-Royal. Le tableau fait d’hommes, dans cette époque où les tableaux étaient faits de Vertus. Le très simple tableau sans l’ombre d’une complication abstraite. »

Dans ce livre l’auteur nous parle d’un peintre : Corentin, né en 1730 et vivant de commandes sous l’Ancien Régime. Soumis au grands de ce monde et par goût de l’argent il accepte de peindre les Onze ; un tableau qui représente les membres du comité de salut public. Le tableau, nous dit l’auteur, se trouve au Louvre, à l’étage du Pavillon de Flore, et Michelet le grand historien lui aurait consacré douze pages de son Histoire de la Révolution française.
L’auteur multiplie les détails susceptibles de convaincre de la véracité et de l’exactitude de son récit : il établit la généalogie de Corentin et s’attarde sur les faits de son enfance. Au moment de la commande des Onze ce n’est pas tant la réalité de ces hommes qu’on lui demande de peindre que la révolution : qu’elle échoue et le tableau devra montrer la vanité des ces hommes-là, qu’elle réussisse et la toile devra préfigurer la conscience de cette victoire. L’ambiguïté de l’art comme celle des révolutions se trouve ici mêlées.
Mais ce tableau des Onze n’existe pas, pas plus que le peintre Corentin. Michon sait que le lecteur ne vérifiera pas les références données par l’auteur pas plus qu’il ne relira Michelet.

Lors d’un interview l’auteur s’amusait beaucoup d’apprendre que des gens venaient au Louvre pour voir ce tableau. Qu’il se rassure la tromperie est pardonnée car on s’amuse aussi beaucoup à lire ce récit fait dans une langue d’une grande beauté.