Radio « Lorraine cœur d’acier »

De mars 1979 à juillet 1980, l’histoire d’une radio pas comme les autres.

1979, nous sommes en pleine crise de la sidérurgie, 22 000 emplois sont menacés,
C’est l’avenir de toute une région qui est en jeu parce que le pouvoir a décidé de liquider l’ensemble de l’industrie sidérurgique. Le 17 mars à Longwy, la CGT prend la décision de créer une radio libre. Elle va émettre pendant deux ans.
Le 23 mars 1979, 150 000 sidérurgistes lorrains, leurs familles manifestent pacifiquement dans Paris pour dire leur inquiétude et leur colère. On sait aujourd’hui que la police organise des provocations pour que cette manifestation se termine en affrontement.
À Longwy, à Nancy, à Metz, les manifestations se succèdent, opération Villes mortes, heurts avec la police. La mobilisation ne faiblit pas.

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Un morceau de chiffon rouge

C’est dans ce contexte que Radio Lorraine Cœur d’Acier va émettre. Au début il s’agissait d’émettre une semaine pour préparer la manifestation du 23 mars à Paris. Puis devant le succès la radio a continué d’émettre.

Techniquement l’aventure était compliquée : il a fallu trouver un émetteur, il viendra clandestinement d’Italie, le studio, c’est un local prêté par la mairie de Longwy, l’antenne sera placée sur le toit de l’église et la CGT envoie deux journalistes expérimentés : Marcel Trillat et Jacques Dupont.

Rappelons-nous qu’à cette époque la diffusion radiophonique est soumise à autorisation. Si Radio Lorraine Cœur d’Acier peut émettre sans que la police intervienne c’est que dès le début cette radio est placée sous la protection de la population.

Par la suite il y aura bien quelques tentatives de brouillage, de saisie du matériel, mais toutes ces manœuvres seront déjouées.

Le 17 mars 1979, en ouvrant l’antenne, Marcel Trillat donne le ton :
« Aujourd’hui, 17 mars 1979, à 16 heures, première émission de Lorraine cœur d’acier. (…) Une radio créée par la CGT et mise à la disposition de toute la population de Lorraine, en lutte pour défendre ses emplois, son patrimoine industriel et humain. (…) Dans ce combat, tous ne partagent pas toutes les positions de la CGT. Nous souhaitons que Lorraine cœur d’acier permette à tous de participer aux débats, qu’elle aide à rassembler tous ceux qui veulent lutter pour l’avenir de notre région, qu’ils soient sidérurgistes, travailleurs d’autres professions, commerçants, artisans, enseignants et quelles que soient leurs convictions personnelles. »

Derrière ce discours se profile l’orientation nouvelle de la CGT pour une plus grande ouverture.

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Radio « Lorraine cœur d’acier »
Le direct, en 1979.

Très vite c’est l’ensemble de la région qui va battre au rythme des émissions de cette radio. De l’outil de mobilisation qu’elle était au départ elle va devenir un outil de réflexion, d’ouverture culturelle, de débats. Les émissions culturelles se succèdent, histoire médiévale, musique contemporaine. Aucun débat n’est tabou, depuis l’accouchement, jusqu’à la réalité des pays socialistes. La radio CGT s’ouvre à des voix nouvelles qui débordent largement du cadre syndical. Paroles de femmes, d’immigrés, de sans emploi, tous ceux à qui d’habitude on ne donne jamais la parole. Avec cette expérience la CGT démontre sa capacité à porter les aspirations de la société toute entière.

Mais c’est aussi l’époque où des débats se font jour au sein même de la CGT entre les partisans de toujours plus d’ouverture et ceux qui pensent que la situation exige de se recentrer sur un cadre plus syndical. Georges Séguy dans son livre Résister donne un éclairage essentiel sur cette période :
« L’arrêt des émissions de Radio Lorraine Cœur d’Acier issue des idées du 40e Congrès provoque aussi le mécontentement. Fondée à l’époque des “radios libres”, cette station s’impose au moment où la sidérurgie traverse une crise profonde dans cette région. Malgré ma désapprobation et celles d’autres militants, décision est prise de mettre fin à son existence sous couvert de divergences d’opinion au sein de la radio. »

Durant l’été 1980 il se trouve une majorité à la direction confédérale pour décider d’arrêter Radio Lorraine Cœur d’Acier.

La radio va tenter de vivre encore quelques temps puis elle sera fermée définitivement après l’intervention des forces de l’ordre. Elle reprendra en octobre 1980, mais dans une autre optique : celle d’une information strictement CGT.

Comme emblème musical, la radio avait demandé à Michel Fugain l’autorisation de reprendre la chanson « le chiffon rouge » dont il avait fait la musique et Maurice Vidalin les paroles. 30 ans après cet hymne résonne encore dans toutes nos manifestations.

L’expérience arrêtée, des blessures demeurent que le temps peine encore à refermer.

C’est donc tout à l’honneur de la NVO d’avoir ressuscité cette histoire. La NVO, vient d’éditer un coffret de cinq CD audio et un DVD intitulé Un morceau de chiffon rouge et qui retrace cette aventure et permet de réécouter certaines des émissions. Le tout avec un livret où l’on retrouve des textes de Marcel Trillat, Daniel Mermet, Michel Olmi et Agnès Naton, secrétaire de la CGT. Le DVD est le film d’Alban Poirier et Jean Serres, Lorraine cœur d’acier, une radio dans la ville (1981).

Vous pouvez vous procurer ce coffret en le commandant sur le site de la NVO (onglet Éditions).
_ [Documentation de l’article : NVO - L’Humanité : J. Dimet]

À cette occasion, comment ne pas se rappeler de la Radio CGT 94 créée en 1979 et dont Alex Dufraigne fut un des principaux animateur. Installée d’abord à Villejuif puis à Ivry, elle devait émettre avec des hauts et des bas pendant plusieurs mois. Dans un prochain numéro, nous reviendrons sur cette histoire.