Il y a 50 ans

Massacres dans Paris

17 octobre 1961

La Guerre d’ Algérie en est à sa 7e année. Sur le terrain la situation ne cesse d’évoluer. Les événements des années 54-55, laissent indifférente une opinion publique qui ne perçoit pas très bien les notions de colonialisme ou d’indépendance nationale. Cette situation change radicalement en 56 avec l’envoi des hommes du contingent et malheureusement le retour des premiers cercueils d’appelés. Sur place les combats s’intensifient, l’arrivée de De Gaulle au pouvoir, le putsch des généraux d’Alger, l’OAS, la dénonciation de la torture augmentent la prise de conscience de la nature réelle de cette guerre et sur le fait qu’il n’y a pas d’issue militaire et que seule la négociation peut mettre fin au conflit.

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17 octobre 1961

En France à partir de 56, les manifestations en faveur de la paix en Algérie vont se multiplier. Elles sont le plus souvent à l’appel de la CGT, du Mouvement de la Paix, du PC, du PSU ou d’intellectuels progressistes.

En Algérie, comme pour les Algériens demeurant en France, après de multiples conflits internes, le FLN qui se veut une organisation de combat apparaît comme l’interlocuteur unique. Les rapports entre la CGT et le FLN sont difficiles. La gauche française dans son ensemble, si elle soutient la revendication d’indépendance, ne peut pas s’associer à la lutte ouverte, armée contre l’État français, telle que le prône le FLN.

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17 octobre 1961

C’est dans ce contexte que se situe la manifestation du 17 octobre 1961.
Ce jour-là le FLN, pour la seule et unique fois de la guerre d’Algérie a décidé d’appeler les Algériens de France à manifester au grand jour. Officiellement cette initiative fait suite à la décision du gouvernement français d’imposer à partir du 5 octobre 61, un couvre feux pour les seuls algériens. En fait la guerre d’Algérie est à un tournant : les discutions d’Évian entre le GPRA-FLN et le gouvernement français sont ouvertes depuis le 20 mai 61. En Algérie, l’offensive militaire française vient de porter des coups très durs aux maquis du FLN. Mais sur la scène internationale la stature du FLN s’est renforcée, aussi par le fait qu’il a été capable d’organiser de grandes manifestations de masse en Algérie. C’est cette même démonstration que le FLN entend faire à Paris. Les Algériens sont alors 350 000 en France dont 80 % en Région parisienne. On estime que 135 000 d’entre eux cotisent au FLN. De Gaulle de son côté est prêt à tout pour empêcher la montée en puissance du FLN, et surtout il est pour lui hors de question de laisser le conflit s’installer en France métropolitaine.
La préparation de cette manifestation se fait dans une relative discrétion. Le préfet affirmera ne l’avoir appris que l’après-midi même.

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17 octobre 1961

Le rendez-vous a été fixé en début de soirée, les Algériens de la banlieue ouest doivent rejoindre la place de l’Étoile, ceux de la banlieue sud doivent se regrouper sur les boulevards Saint-Michel et Saint- Germain, ceux de la banlieue nord-est iront sur les Grands boulevards. Ils seront 20 000 à 30 000 à rejoindre les points de rendez-vous.

Mais la police sur place a déployé des moyens considérables.
Avant même que les rassemblements se forment, la police intervient, elle procède à des arrestations massives, conduits les Algériens dans des centres de détentions prévus a cet effet. Les manifestants sont systématiquement frappés avec une rare sauvagerie, les blessés se comptent par milliers. Dans les centres de détention c’est de nouveau le passage « à tabac » et les faits de torture sont nombreux.

10 000 Algériens se déplacent de la défense vers le pont de Neuilly. La police charge. Toute la nuit, des hommes aux mains liées vont être jetés dans la Seine. Sur les Grands boulevards, devant le cinéma Rex des témoins diront la montagne de corps qui s’empilent.

Aujourd’hui encore le nombre de victimes reste inconnu, on estime entre 200 et 400 le nombre des morts, les blessés sont plusieurs milliers, indénombrables avec plus de précision. Ce soir-là c’est près de 11 000 Algériens qui auront été arrêtés.

Le lendemain le préfet de police, Maurice Papon, fera paraître un communiqué où il est dit que la police avait dû disperser une manifestation à laquelle les Algériens avaient été contraints, par le FLN, de se rendre et que des coups de feu avaient été tirés contre la police entrainant deux morts et plusieurs blessés parmi les manifestants.

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17 octobre 1961

Aucune suite ne sera donnée aux protestations des organisations de gauche, aucune enquête n’aura lieu, aucun coupable n’aura jamais à rendre des comptes sur ce massacre.

50 ans après, force est de constater que cet épisode de la guerre d’Algérie reste encore largement inconnu de la majorité des Français.
Pourtant c’est bien une nuit de massacre et de honte pour l’État français qui a eu lieu ce soir-là.

Il n’est pas exagéré de dire que dès le 17 octobre 61 tout est déjà en place dans l’appareil de répression pour que l’on aboutisse au 8 février 1962.

8 février 1962

Quatre mois séparent les deux manifestations. Entre temps l’OAS a amplifié son action et commis de nombreux attentats : contre le siège du PC, des locaux syndicaux, des militants sont visés, des intellectuels, des journalistes. En même temps l’opposition à la guerre d’Algérie prend chaque jour un peu plus d’ampleur et la conscience d’une menace fasciste existe.

La nuit du 24 janvier 62, vingt et un plastiquages vont avoir lieu en Région parisienne. Le 7 février dans l’après-midi, ce sont dix explosions qui se produisent chez des personnalités favorables à la paix en Algérie.

Le soir-même un appel est lancé à un rassemblement de protestation contre l’OAS et pour la paix en Algérie. Il est signé de la CGT, de la CFTC, de l’UNEF, du SGEN, de la FEN et du SNI. Le PCF, le PSU, le Mouvement de la paix s’associent à cet appel.

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Charonne

Les autorités interdisent la manifestation.
Le rendez-vous est maintenu à 18 h 30 place de la Bastille.
De son côté la police a reçu ordre de disperser systématiquement les manifestants et de ne tolérer aucun regroupement. La police attend 6 000 manifestants : il en viendra plus du triple.

Dans l’après-midi les syndicats rappellent les consignes de calme et de rassemblement pacifique. La jonction place de la Bastille doit se faire en cinq cortèges venus de cinq boulevards différents. Chaque cortège doit s’arrêter à 50/75 mètres des cordons de police. Là les organisations devront lire le communiqué commun et la dispersion doit intervenir à 19 h 30.

Le soir venu la police occupe la place de la Bastille mais également les abords, à plusieurs reprises elle charge les manifestants qui tentent de rejoindre la place, des cortèges vont prendre des chemins divers.

Un groupe venant de la gare de Lyon est rejoint par un autre qui arrive du boulevard Beaumarchais, tous se retrouvent au carrefour Voltaire-Charonne. Là, la manifestation stoppe et il est donné lecture du communiqué commun puis l’ordre de dispersion est donné, les manifestants font demi-tour et là la police charge. Les manifestants tentent de s’enfuir par les rues adjacentes, certains, rentrent dans des immeubles où la police n’hésitera pas à les poursuivre dans les cages d’escaliers. D’autres s’engouffrent dans la station Charonne. La police charge encore avec une rare violence : c’est la bousculade, des gens tombent au sol, la police les frappe, puis descellant les grilles entourant les arbres, la police les projette sur les manifestants, chacune pèse entre 20 et 30 kg.

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Charonne

Il y aura neuf morts :
- Jean-Pierre Bernard, 30 ans, dessinateur ;
- Fanny Dewerpe, 31 ans, secrétaire ;
- Daniel Féry, 16 ans, apprenti, originaire du Val-de-Marne ;
- Anne-Claude Godeau, 24 ans, employée PTT ;
- Édouard Lemarchand, 41 ans, menuisier ;
- Suzanne Martorell, 36 ans, employée à l’Humanité ;
- Hippolyte Pina, 58 ans, maçon ;
- Raymond Wintgens, 44 ans, typographe ;
- Maurice Pochard (décédé à l’hôpital), 48 ans.

Et les blessés se comptent par centaines.
Le lendemain Michel Debré, premier ministre, se rendra dans un commissariat pour assurer les forces de l’ordre du soutien du gouvernement.

Le 13 février jour de l’enterrement des 9 de Charonne, l’activité économique de la Région parisienne s’arrête. Prés d’un million de personnes accompagnent les cercueils jusqu’au Père Lachaise.

La foule présente démontre par son ampleur que la bataille de l’opinion est gagnée et que dès lors plus rien ne pourra venir s’opposer à la paix en Algérie.