Courrier des lecteurs : Levi-Strauss

Dans le précédent numéro de Mémo Luttes nous évoquions
la disparition de Claude Lévi-Strauss.
Dans cet article j’avais écrit cette phrase : « On me
dit que Lévi-Strauss n’était pas un homme de gauche
 ».
La formulation laissait le débat ouvert mais manquait
singulièrement de précision.
Cela n’a pas échappé à la lecture attentive de notre
ami Claude Pennetier, directeur du Maitron, dictionnaire
bibliographique du mouvement ouvrier et du mouvement
social.
Voici le courrier qu’il a eu l’amabilité de nous faire
parvenir et dont nous le remercions.

« Cher Jacques,

Merci pour Mémo Luttes.
On me dit que Lévi-Strauss n’était pas un homme
de gauche
”.
Une petite remarque sur Lévi-Strauss.
Il ne l’est peut-être pas resté mais sa biographie
du Maitron témoigne de sont engagement.
En voici un passage :

« Fils d’un peintre, ce grand ethnologue
français s’engagea, pendant quelques années de
sa jeunesse, dans l’action socialiste. Issu d’une
famille d’origine alsacienne, ses ancêtres se
consacrèrent au négoce ou au sacerdoce (un de
ses grands-pères fut rabbin) et plus d’un témoigna
d’une vocation artistique. Lui-même manifesta
un goût marqué pour la musique.
Claude Lévi-Strauss fit ses études primaires à
Versailles, ses études secondaires à Paris, aux
lycées Jeanson-de-Sailly et Condorcet, dans l’intention
de préparer l’École normale supérieure à
laquelle il renonça. Il prépara la licence en droit
tout en poursuivant des études de philosophie
qui le conduisirent à l’agrégation en 1931.
Quand j’étais étudiant, et même dès le lycée, j’ai milité
au Parti socialiste... comme tous mes camarades, vers les
années 1930-1935, j’étais pacifiste...
”, devait-il indiquer
en janvier 1979.
C’est au cours de ces années de formation que
Lévi-Strauss milita au sein de la Fédération des
étudiants socialistes. Il publia une brochure,
éditée par le Parti ouvrier belge « Gracchus
Babeuf et le communisme
 » (L’Églantine, 1926,
37 p.). En 1929, au moment où la Fédération
nationale des étudiants socialistes élaborait ses
statuts, il en fut le secrétaire général. Aux
approches du congrès national de la SFIO à
Nancy (1929), congrès consacré au thème de
l’école, il publia dans l’Étudiant socialiste, organe
mensuel de langue française de l’Internationale
des étudiants socialistes, un appel à un socialisme
complet, apte à satisfaire tous les besoins
de la nature humaine, mais difficile à définir
aussi longtemps que l’expérience ouvrière n’aurait
pas connu son plein développement. Le
socialisme s’épanouirait en un système ample et
harmonieux englobant à la fois la pensée rationnelle
et les aspirations affectives et sentimentales
de la conscience humaine. Dans l’Étudiant
socialiste encore, sous le titre La foi socialiste, il
exprima son point de vue sur l’attitude du Parti
socialiste face à la religion. Il considérait « comme
incompatible le fait d’être socialiste et la croyance en
Dieu
 » Mais il lui semblait monstrueux que le
Parti socialiste fermât ses portes à un croyant ou
même à un ministre d’un culte quelconque. Il
voulait que le Parti puisse dire que «  tous les
hommes peuvent trouver dès maintenant dans la foi
socialiste la satisfaction intégrale de leurs aspirations
 ».
Lévi-Strauss assura le secrétariat de la rubrique
Livres et revues de l’Étudiant socialiste en 1931-
1932, y donnant jusqu’en 1933 des comptes
rendus indicatifs de ses centres d’intérêts :
articles économiques de Lucien Laurat dans la
Critique sociale, livre d’H. de Man, de R. et
Y. Allendy, Voyage au bout de la nuit de L.-F.
Céline, etc.
Au sein du Parti socialiste, Lévi-Strauss appartint
au groupe des jeunes intellectuels (Pierre
Boivin, Suzanne Deixonne et Maurice
Deixonne, Jacques Godard, Ignace Cohen, Max
Grignon, Jean Itard, Robert Marjolin, Émilie
Lefranc et Georges Lefranc) qui lancèrent, en
mai 1932 les idées de renouvellement tactique et
stratégique sous le nom de « Révolution
constructive
 ». C’est sous l’égide de ce courant de
pensée (dont le nom figure en sur-titre) qu’il
écrivit en 1932 ses Réflexions sur la social-démocratie
dans le Socialiste Savoyard du 3 décembre. Il y
condamnait la trop grande considération de la
SFIO à l’égard de la social-démocratie allemande
dont il rappelait les options contre-révolutionnaires
en 1918 et constatait que la tactique
« de la social-démocratie n’a pas enrayé les progrès des
nazis
 ». En février 1934, il préfaça le texte du
leader du Bund, V. Alter, Esquisse d’un programme
économique socialiste
, publié en brochure par son
groupe. En 1933, il avait été délégué du département des Landes au congrès national du Parti
socialiste tenu à Paris les 14-17 juillet. À l’automne
1934, Lévi-Strauss occupa la chaire de
sociologie de l’Université de Sao-Paulo (Brésil),
et s’éloigna d’un engagement, ce qui ne veut pas
dire, d’un idéal, pour accomplir une oeuvre
d’une haute portée scientifique et humaine, de
l’ethnographie à l’anthropologie et à l’analyse
structurale. La guerre le ramena en France, et il
fut réintégré dans l’enseignement, puis, bientôt,
frappé par les lois raciales du gouvernement de
Vichy. Sur invitation universitaire, il gagna, au
printemps 1941, les États-Unis, et voyagea sur
un navire en compagnie de Victor Serge et
d’André Breton. Là-bas, il participa aux émissions
radios destinées à la France : on le maintint
dans cette activité après son engagement
dans les Forces françaises libres. La paix rétablie,
il fut conseiller culturel aux États-Unis jusqu’en
1949, date de sa nomination au poste de
sous-directeur du Musée de l’Homme. En 1950,
il devint directeur à l’École des Hautes Études
et reçut, en 1959, la chaire d’anthropologie
sociale au Collège de France.

Amitiés »

Pennetier, Claude