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La Vie Ouvrière a 100 ans

L’Institut d’Histoire Sociale du Val-de-Marne dispose dans sa bibliothèque de l’intégralité des
numéros de La Vie Ouvrière des année 1937 et 1938.
Nous les avons feuilletés et pour le plaisir nous en avons extrait quelques documents qui nous l’espérons
vous feront réfléchir ou sourire mais qui parfois résonnent encore avec l’actualité d’aujourd’hui.

Le premier numéro est daté du 5 octobre
1909. Il est tiré à 5000 exemplaires. Ils
ont été imprimés par l’Imprimerie
Coopérative de Villeneuve-Saint-Georges.
Pierre Monatte en est le directeur de publication
et c’est à son domicile qu’avec trois autres
camarades il recopie à la main les 5 000 noms et
adresses des militants syndicaux à qui l’on a
décidé d’envoyer ce premier numéro.
Ce jour-là nul ne sait combien de temps cette
revue vivra.

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Mars 1938
© La Vie Ouvrière


Avant elle L’Action directe a vécu dix numéros,
L’Avant garde 46 numéros et L’Action ouvrière n’a
tenu qu’un an.
La réponse on la connaît mieux aujourd’hui :
la VO passera les 100 ans ! Quel titre de presse
peut en dire autant ?

En 1909 le gouvernement Clémenceau vient
de laisser la place à Briand et c’est toujours la
répression des grèves qui est à l’ordre du jour.
La répression sanglante de la Commune de
Paris a trente ans et chacun s’en souvient.
La CGT existe depuis 15 ans, après les années
tumultueuses elle sort du congrès d’Amiens de
1906 avec une ligne claire sur l’indépendance
syndicale et le syndicalisme de classe.

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Mars 1938
© La Vie Ouvrière


La CGT a déjà un journal, La Voix du peuple,
mais ce journal est un outil au service des militants,
qui reprend à son compte les débats
internes à l’organisation.
Pour les dirigeants de la CGT c’est d’un
organe qui serait capable de s’adresser aux
masses dont le syndicalisme à besoin, un outil réel d’information et de formation.

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Extrait de la VO du 20 mai 1937.
© La Vie Ouvrière

Ils sont un certain nombre à croire à ce projet,
ont les appellera le « noyau », à leur tête :
- Monatte, l’initiateur du projet, pendant
longtemps l’unique salarié de la revue, syndicaliste
de la presse parisienne, c’est un ancien
anarchiste, très influencé par Pelloutier, le créateur
des Bourses du travail.
- Merrheim, de la Fédération des Métaux. il
a été socialiste tendance allemaniste.
- Griffuelhes, venu du blanquisme,
passé par l’anarchie, ancien secrétaire de la
CGT de 1901 à 1908, c’est lui qui rédige la
chartes d’Amiens.
- Yvetot, responsable CGT des Bourses
du travail, lui aussi fut anarchiste.
Avec eux d’autres militants venus des
grands syndicats.

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Mars 1938
© La Vie Ouvrière

L’idée de la VO naît aussi d’un échec, celui
d’un quotidien, La Révolution, qui ne vivra
que deux mois.
De cette expérience l’idée s’impose que c’est
une revue, bi-mesuelle, qui remplira le mieux la
mission d’éducation syndicale que les initiateurs
se sont fixée.
Pour le titre on reprend le titre d’un livre de
Pelloutier, La Vie Ouvrière.
Reste à trouver le nerf de la guerre : l’argent !
Il faut 3 000 francs pour tenter l’aventure.
C’est James Guillaume, un vieil anarchiste
suisse disciple de Bakounine, qui donnera les
premiers 1 000 francs, deux autres anarchistes,
suisses également, apporterons les 1 000 francs
suivants et Monatte trouvera le reste.

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Mars 1938.
© La Vie Ouvrière

La Vie Ouvrière se veut une revue d’action et
d’information, qui doit rendre service aux militants
et éclairer la compréhension du monde.
C’est une revue engagée qui entend donner la
parole à ses lecteurs et au monde du travail.
Très vite il y aura plus d’articles que le nombre
de pages ne permet d’en éditer.
Après un trimestre de parution on compte
520 abonnés, des syndicalistes pour la plupart.
Mais le « noyau » ne veut pas en rester là, la
qualité des articles permet de s’adresser aux
salariés qualifiés, notamment les instituteurs. À
la fin du second trimestre on tire à 1 200 exemplaires.
Au fil des pages la VO se fait une spécialité
d’analyser les mouvements sociaux, de théoriser
à partir de grèves éparses ce que devra être
demain la grève générale.
Le réformisme y est fustigé et l’engagement
de classe réaffirmé ; ce qui conduit les rédacteurs
à souvent traiter des aspects de la vie quotidienne
et des luttes qui s’y mènent.

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Extrait de la VO du 27 janvier 1938
© La Vie Ouvrière


Ainsi la VO va-t-elle permettre que se forge
une conception de l’action revendicative.
Quatre années vont passer pas toujours
faciles. Malgré les difficultés la VO sort régulièrement,
même si c’est avec du retard.
En 1910 les crues inondent l’imprimerie de
Villeneuve-Saint-Georges. Les abonnements
stagnent à 1607. On ne peut rémunérer qu’un
seul permanent. En 1914 les dettes sont telles
qu’il faut trouver une autre imprimerie à
Auxerre.
Prioritairement axée sur les problèmes sociaux
la VO ne pouvait échapper au débat sur la paix.
Le mot d’ordre de la CGT c’est « Guerre à la
guerre ». Dans cet esprit la VO traite des mouvements
qui se déroulent à l’étranger, il faut
montrer la communauté d’intérêts des travailleurs
du monde entier.
En 1908 le 10e congrès de la CGT avait
déclaré : « Il faut au point de vue international faire
l’instruction des travailleurs afin qu’en cas de guerre
entre puissances, les travailleurs répondent à la déclaration
de guerre par une déclaration de grève générale révolutionnaire

 ». La VO va porter ce message.

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Extrait de la VO du 14 mars 1937
© La Vie Ouvrière

Le 20 juillet 1914, la VO sort sont 116e
numéro et annonce le 13e congrès de la CGT
qui doit se tenir à Grenoble. Il n’aura jamais
lieu. Le 2 août 1914, la guerre est déclarée.
Le 4 août Jaurès est assassiné, ce même jour la
direction confédérale déclare : « [...] contre le
militarisme germanique, il faut sauver la tradition démocratique
et révolutionnaire de la France ».
La grève générale est enterrée avant d’avoir
commencer, c’est l’union sacrée qui triomphe.
Pour le « noyau » de la VO, le coup est dur,
Monatte dira : « Comment s’imaginer un mouvement
syndical, aussi un mouvement socialiste, aussi un
mouvement anarchiste, qui ont brusquement, en quelques
jours, les premiers jours d’août 1914, renversé et piétiné
tout ce qu’ils avaient proclamé jusque-là, pour se rallier
à la guerre et du même coup à la bourgeoisie qui menait
cette guerre ?
 »
Monatte envoie sa démission au Comité
confédéral et adresse une longue lettre aux
abonnés de la VO pour expliquer sa position.
Avec la guerre la censure s’installe, beaucoup
d’abonnés sont mobilisés. Les caisses sont vides.
La VO cesse de paraître.

1914-1918, la grande boucherie de la guerre
va passer par là et à Moscou une révolution
prolétarienne va triompher.
Dans le local fermé de la VO des hommes
continuent de se réunir, il y a là Rosmer,
Merrheim, Monatte, Martinet, Guilbeaux, puis
des nouveaux de passage, Martov un militant
russe menchevik de gauche, un polonais,
Lapinski, et un autre russe arrivé de Zurich,
Trotski. On prend connaissance de l’appel des
militants ouvriers allemands regroupés autour
de Liebknecht. Grimm vient y apporter l’invitation
du parti socialiste italien d’organiser une
conférence internationale contre la guerre.
Elle aura lieu 5 septembre 1915 à l’auberge
Beau séjour dans le village de Zimmerwald en
Suisse. Il y a là des représentants de plusieurs
nations : pour la France Bourderon de la
Fédération du tonneau, Béricaud du Rhône et
Merrheim y sont présent.

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VO du 8 février 1938
© La Vie Ouvrière

Assistent également à cette conférence Trotski
et Lénine.
La conférence lance un appel à tous les prolétaires
de l’Europe en guerre : « Depuis que la
guerre est déclarée, vous avez mis toutes vos forces, tout
votre courage, toute votre endurance au service des classes
possédantes, pour vous entretuer les uns les autres.
Aujourd’hui il faut, en restant sur le terrain de la lutte
de classe irréductible, agir pour votre propre cause, pour
le but sacré du socialisme, pour l’émancipation des
peuples opprimés et des classes ouvrières.
 »
Il faut faire connaître cet appel. Dans l’impossibilité
de faire paraître légalement la VO on utilisera
un stratagème, « la lettre aux abonnés »,
c’est une simple feuille glissée dans une enveloppe,
elle paraît pour la première fois en
octobre 1915.

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Frachon et Racamond au bureau du Congrès. (4 mars 1937)
© La Vie Ouvrière


Jusqu’en 1917 d’autres lettres aux abonnés
éveilleront la conscience des travailleurs.
Ainsi souvent seule dans la tourmente l’équipe
de la VO va maintenir le flambeau d’un syndicalisme
de classe.
Avec parfois des destins individuels compliqués.
Griffuelhes sombre dans l’union sacrée
avant de se ressaisir au moment de la révolution
d’octobre. Merrheim, qui a mené tous les
combats et qui en 1917 rejoint l’union sacrée.
Quand à Monatte, dès 1916 et sur décision du
gouvernement, il est envoyé en première ligne
sur le front, il en reviendra et sera démobilisé en
janvier 1919.
La paix revenue, le « noyau » se reconstitue,
on constate les morts, les défections, mais une
nouvelle génération est là, parmi eux un certain
Gaston Monmousseau.
La vie ouvrière reparaîtra légalement le 1er mai
1919.

Jacques Aubert