Éditorial

À la rentrée scolaire prochaine les programmes
d’Histoire en lycée vont être
allégés.
Au nom de la compétition internationale, il
faut que nos ingénieurs, nos techniciens, nos
ouvriers soient mieux formés pour le métier que
plus tard peut-être, avec de la chance, ils exerceront.
Effectivement à quoi sert pour un informaticien
spécialiste de l’iPhone, l’iBook, l’email de
savoir que Gutenberg inventa l’imprimerie vers
1454 ?
À quoi sert à une caissière de supermarché de
savoir que Charlemagne fut couronné empereur
en l’an 800 ? Jamais aucun client ne viendra lui
poser cette question.
Et un garagiste a t-il besoin de connaître où se
trouve le vase de Soissons ?

Il y a quelques temps au cinéma je suis allé
voir La Rafle, le film de Roselyne Bosch.
La responsabilité de la police française dans
l’arrestation puis la déportation de milliers de
citoyens de confession juive y est décrite sans
complaisance.
C’est une grande question que de savoir ce
qu’il fallait faire, dans un cas pareil. Peut-on
quand on est policier refuser de commettre un
acte immoral ? Certains l’ont fait, bien peu,
mais aujourd’hui on sait qu’ils avaient raison.
J’apprends qu’il y a quelques jours des policiers
français ont expulsé vers la Pologne une
famille de clandestins géorgiens, le père, la mère
et les enfants. Malheureusement le petit dernier
de deux ans et demi était chez une amie. La
mère a voulu aller le récupérer, mais les policiers
n’avaient pas reçu d’ordre alors ils ont refusé. Le
père s’est entaillé les veines, mais rien n’y a fait,
on les a mis dans un avion direction Varsovie. À
l’arrivée les autorités polonaises outrées par un
tel traitement ont refusé de les accueillir. Ils sont
donc revenus à Paris. Là, les membres de l’association
Réseau Éducation
Sans
Frontières
les attendaient
avec le
petit. Les policiers
les ont abandonnés
là, en
attendant la prochaine
fois.
Le préfet a
expliqué qu’il
n’avait pas la
preuve de l’existence
de cet enfant et que les policiers auraient
cru à une manoeuvre pour retarder l’expulsion.

Il y a quelques jours encore une autre famille a
été expulsée vers le Kosovo. Cette fois la police
a pris soin de faire un détour pour récupérer un
des enfants. Il était à l’hôpital polyhandicapé et
soigné depuis deux mois avec un traitement
lourd mais qui commençait à donner des résultats.
Le personnel médical a tenté de s’opposer
mais en vain, tout le monde a été mis dans
l’avion. Le préfet a indiqué qu’il ne voyait pas
pourquoi cet enfant, originaire d’un petit village
de la campagne Kosovar, ne pourrait pas recevoir
là-bas des soins identiques ?

Si dans la formation des policiers on voulait
bien ajouter des cours d’Histoire, je ne doute
pas qu’il s’en trouverait quelques-uns pour s’interroger
et refuser le sale boulot qu’on leur fait
faire.
Heureusement qu’il existe encore des citoyens
qui eux, ont tiré les leçons du passé et qui
restent mobilisés pour défendre les Droits de
l’Homme.

Mais dans quelques années, quand les lycéens
de demain seront devenus adultes et que plus
aucun d’eux ne connaîtra ni Gutenberg, ni
Charlemagne, ni le vase de Soissons, ni la rafle
du Vel’ d’Hiv, combien seront-ils à résister ?

Jacques Aubert