Il y a 60 ans, mourait Joseph Staline

Cet anniversaire n’a pas fait grand bruit dans la presse tant à la même date les médias étaient occupés à discourir sur la démission du pape et l’élection de son successeur.

Pourtant même si l’homme est controversé, c’est le moins que l’on puisse dire, il a pourtant marqué l’histoire ce vingtième siècle et plus particulièrement l’histoire du mouvement ouvrier de manière décisive.

Aujourd’hui encore l’adjectif stalinien est utilisé à toutes les sauces et bien souvent pour discréditer ceux qui tentent de remettre en cause les dogmes d’un capitalisme se revendiquant éternel comme la phase ultime de l’évolution humaine.

Pour les tenants du pouvoir des actionnaires, toutes tentatives de remettre en cause le capitalisme serait vaine puisque devant nécessairement déboucher sur un totalitarisme de type stalinien.

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La communauté européenne a même tenté d’imposer un jour unique de commémoration de toutes les victimes des totalitarismes, mêlant dans un même sac les victimes du nazisme et des camps d’extermination avec ceux du goulag et de la répression stalinienne. Cette journée baptisée Journée européenne du souvenir devant se tenir le 23 août de chaque année ; la date n’est pas choisie par hasard puisque c’est celle de la signature du Pacte germano-soviétique. On voit bien ce que cache une telle opération : l’extrême droite et le communisme seraient confondus et condamnés à rejoindre les poubelles de l’histoire ainsi le bipartisme triomphant assurerait seul le bonheur de l’humanité en gérant loyalement un capitalisme inamovible.

Dans le même temps cela permet de couper le lien entre capitalisme et fascisme et de faire oublier que si en général le capitalisme préfère la démocratie pour assurer son processus d’exploitation, il n’a jamais reculé devant l’instauration du régime dictatorial quand la défense de ses intérêts l’exigeait.

Certes au niveau des victimes, mourir en Sibérie ou en Allemagne ne fait pas grande différence mais je ne suis pas sûr que mourir au Vietnam ou en Algérie, pour ne citer que ces exemples, soit un sort plus enviable.

Pour éviter que demain ne voit se reproduire les mêmes horreurs, il faut certes se rappeler les victimes mais avant tout il est nécessaire de comprendre les processus politiques qui ont conduit à ces crimes.

Et dans cet esprit confondre l’extermination de tout un peuple au nom de la pureté de la race avec la tentative, fut-elle massive de faire taire toute opposition, cela ne permet pas d’exercer une analyse sérieuse de ces situations. En fait derrière la compassion pour les victimes se cache une opération politicienne de réécriture de l’histoire au profit de l’idéologie dominante.

Cela dit cette analyse n’a pas pour objet de passer sous silence ce que fut l’horreur de la période stalinienne et les conséquences que cela a eu sur le mouvement ouvrier.

Lors des journées d’études des IHS CGT en mai de cette année, René Mourioux, professeur de philosophie et historien, a esquissé dans une conférence ce que pourrait être une analyse critique de cette période et des répercussions sur le mouvement syndical. Les lignes qui suivent doivent beaucoup à son travail.

Éléments biographiques

Staline est né à Gori le 18 décembre 1878.

Élève brillant, il rentre au séminaire en 1894. À vingt ans, il en est exclu pour diverses indisciplines. Rapidement devenu athée, il se consacre à l’action révolutionnaire contre le système Sitariste. Plusieurs fois arrêté, puis déporté en Sibérie, il s’évade à chaque fois. En 1904 il adhère à la fraction bolchevique du POSDR. C’est à cette époque qu’il rencontre Lénine. À l’été 1917, il est membre fondateur du Politburo.

Staline, est nommé Commissaire aux nationalités dans le Conseil des commissaires du Peuple issu de la Révolution.

Fin bureaucrate, Staline s’impose dans l’appareil du parti et devient secrétaire général en 1922.

Avant la mort de Lénine en janvier 1924, Staline exerce déjà une autorité considérable sur le parti.

Après la mort de Lénine, il empêchera la publication du Testament de Lénine, où l’on pouvait lire ces lignes :
« Staline est trop brutal, et ce défaut parfaitement tolérable dans notre milieu et dans les relations entre nous, communistes, ne l’est pas dans les fonctions de secrétaire général. Je propose donc aux camarades d’étudier un moyen pour démettre Staline de ce poste et pour nommer à sa place une autre personne qui n’aurait en toutes choses sur le camarade Staline qu’un seul avantage, celui d’être plus tolérant, plus loyal, plus poli et plus attentif envers les camarades, d’humeur moins capricieuse, etc. »

Toutefois dans le choix du successeur de Lénine les militants préféreront Staline à un Trotski moins ancré dans le parti, plus intellectuel.

Bientôt Staline évincera Trotski du gouvernement. Puis il fait le vide autour de lui et installe son pouvoir personnel dès 1930.

À partir de ces années, la répression en URSS va être un phénomène de grande ampleur et d’une brutalité trop souvent sous-estimée. C’est par millions que des hommes, des femmes vont être arrêtés, interrogés, déportés, contraints au travail forcé, plusieurs millions mourront dans les sinistres Goulag. Les libertés, la justice, n’existent plus, c’est l’arbitraire qui règne au pays du socialisme réel où toute analyse est remplacée par le culte de la personnalité de Staline.

Aujourd’hui

Pour autant, rien n’est simple, rien n’est blanc ou noir, c’est aussi dans cette période que l’URSS réussira l’exploit de passer d’une nation essentiellement agraire à un pays fortement industrialisé. C’est aussi dans ce contexte de répression que le peuple soviétique sera en mesure de faire front face à l’Allemagne nazie et suite à la bataille mémorable de Stalingrad de libérer l’Europe du fascisme. C’est aussi à la fin de cette période et en pleine Guerre froide que l’action de l’URSS contribuera à la décolonisation et à l’émergence des pays du tiers-monde vers la liberté.

Ces réalités n’effacent pas les crimes pas plus que ces derniers n’effacent ces réalités. Mais nous devons les garder à l’esprit pour comprendre.

Devant l’ampleur des crimes, force est de constater que Staline ne fut pas seul et que ce courant répressif a parcouru la société toute entière.

Cette dérive des idéaux de la révolution sont-ils inscrits dans le marxisme lui-même ? Sont-ils le résultat des simplifications que Staline à fait subir à la théorie marxisme ? Sont-ils le résultat de l’histoire où l’édification du socialisme dans un seul pays puis la guerre auraient rendu inévitables ces évolutions ? Et pourquoi tant de militants à travers le monde ont-ils pu être aveugles aussi longtemps à cette réalité ?

C’est à toutes ces questions et aux conséquences du stalinisme sur les pratiques syndicales que le travail de René Mourioux s’est attaqué. Nous aurons l’occasion d’y revenir dans un prochain numéro de Mémo-Luttes.

Aussi l’heure n’est pas à la conclusion. Dans la lutte des classes qui se poursuit depuis l’avènement du capitalisme, la Révolution russe est un épisode, pas la fin de l’affrontement. De même les erreurs du communisme ne rendent pas plus supportables les injustices de l’exploitation de l’homme par l’homme. Il nous appartient seulement aujourd’hui avec lucidité sur le passé, d’inventer les voix nouvelles pour une société de justice et de progrès.

Jacques Aubert