Inauguration de l’expo Renault et la collaboration
Le 21 février 2013, à la Maison des syndicats Michel Germa de Créteil, était présentée l’exposition Louis Renault et la collaboration. Cette inauguration fut célébrée en présence de Christian Favier, sénateur et président du Conseil général du Val-de-Marne, Thierry Le Paon, membre de la CE confédérale de la CGT, Pascal Joly, secrétaire général de l’Union régionale Île-de-France de la CGT, Camille Montuelle, secrétaire générale de l’Union départementale CGT du Val-de-Marne et Bernard Devert de la Fédération CGT de la Métallurgie.
Intervention de Jacques Aubert, président de l’IHS 94, lors de cette manifestation.
Chers amis et camarades,merci de votre présence.
Je voudrais vous dire pourquoi l’UD a tenu à vous présenter cette expo et pourquoi l’Institut d’histoire sociale de la CGT a décidé de traiter de cette période de la collaboration et de l’attitude qui fut celle de Louis Renault.
En premier lieu, il faut dire que cette exposition est le fruit d’une coopération. Elle doit beaucoup à Guy Poussy, ancien conseiller général du Val-de-Marne, qui a beaucoup insisté pour dire que le sujet méritait qu’on s’y intéresse.
Elle doit aussi beaucoup à une historienne, Annie Lacroix-Riz qui travaille depuis des années sur cette question, et sans sa collaboration cette exposition n’aurait pas la même rigueur historique qui la rend incontestable sur les faits cités.
Ont participé également les militants de l’association Esprit de Résistance, le Musée de la Résistance et la Fédération CGT de la Métallurgie.
Puis rien de cela n’aurait été possible sans Michel Certano, ancien responsable syndical CGT de chez Renault, qui est la mémoire vivante de cette entreprise ; sans lui, sans son travail de documentation, il n’y aurait pas eu d’exposition.
Enfin, il faut remercier Alain Guillo pour le travail de conception graphique.
Et pour terminer dire que cette exposition n’aurait jamais vu le jour sans l’aide financière du Conseil général du Val-de-Marne.
Je tenais à tous les remercier.
- Inauguration de l’expo Renault
- Inauguration le 21 février 2012, à la Maison des syndicats de Créteil.
À l’origine si nous avons tenu à faire cette exposition, c’est en premier lieu pour réagir à l’action des petits-enfants de Louis Renault qui ont décidé de déclencher une procédure judiciaire pour obtenir la réhabilitation de la mémoire de leur grand-père.
Certes, que des petits-enfants pensent à la mémoire de leur grand-père, c’est plutôt sympathique ! Le problème, c’est que tout le monde n’a pas eu un grand-père qui a collaboré avec les nazis !
Mais il se peut que les petits-enfants Renault ne connaissent pas bien l’histoire et qu’ils aient cru sincèrement que leur grand-père n’avait pas pu faire cela ou alors qu’il y avait été obligé.
Le plus extraordinaire c’est que la justice, au mépris de la réalité historique, dans un premier temps leur ait donné raison.
À Oradour-sur-Glane, village tristement célèbre pour les massacres que l’armée allemande y commis, il y avait une exposition sur la montée du nazisme ; dans cette exposition il y avait la photo de Renault avec Hitler au salon de l’automobile à Berlin en 38. Cette photo vous la verrez dans notre exposition.
La famille a défendu l’idée qu’il était honteux d’associer leur grand-père à Hitler et il n’y avait aucun rapport entre cette forme de collaboration et les crimes nazis.
Le tribunal leur a donné raison et a exigé le retrait de cette photo !
- Inauguration de l’expo Renault
- Inauguration le 21 février 2012, à la Maison des syndicats de Créteil.
Après un tel jugement c’est naturellement que la famille a voulu aller plus loin. Car s’il est dit que Louis Renault n’a pas vraiment collaboré, ou alors pas de son plein gré, alors sa condamnation à la Libération n’était pas juste et c’est à tort qu’on a nationalisé ses usines.
Donc la famille a été spoliée et maintenant il serait juste que l’État français les indemnise.
Sachant que les usines Renault, ça peut-être estimé à quelque centaines de millions, vous comprenez que l’amour du grand-père, ça peut rapporter gros !
À partir de cet instant, on a assisté à toute une campagne de presse, dans le journal Le monde notamment, à la télévision, y compris sur les chaînes publiques, pour venir en aide aux héritiers Renault, présentés comme des victimes de l’histoire.
Alors pourquoi cet engouement des médias ? Tout simplement parce que la droite a flairé la bonne opération politique.
Si on arrive à faire admettre qu’avoir jugé Louis Renault comme collaborateur, c’était exagéré, alors à la Libération, la condamnation des autres patrons l’était aussi.
Et si la nationalisation des usines Renault ne se justifiait pas alors on peut dire de même des autres nationalisations.
Et peut-être que c’est tout le programme du CNR qui était exagéré ?
La sécu, les CE, les retraites, tous les acquis de la Libération seraient donc des mesures exagérées ? Preuve qu’il serait temps de remettre tout cela en cause.
Vous avez tous compris la manœuvre !
Le cas Renault n’a que peu d’importance, en fait la droite y voit l’occasion d’une revanche idéologique sur le modèle français issu de la Libération.
- Inauguration de l’expo Renault : intervention de Jacques Aubert
- Inauguration le 21 février 2012, à la Maison des syndicats de Créteil.
Avec cette exposition nous avons voulu rétablir la vérité en partant des faits avec des documents historiques incontestables
Alors oui, Renault fut un inventeur de génie à qui l’on doit notamment la boite de vitesse à prise directe.
Oui, il a fait les Taxis de la Marne et les chars qui ont aidé à la victoire de la guerre de 14-18.
Mais Louis Renault, c’était aussi un exploiteur, le premier qui ait imposé en France le travail à la chaîne. Nous montrons des documents qui prouvent que les conditions de travail chez Renault étaient terribles.
Politiquement, Renault était un homme de droite, qui en 36, a eu peur du Front populaire et qui comme d’autres a pensé « Plutôt Hitler que le Front populaire ».
Les preuves existent que Louis Renault a financé les ligues fascistes. Comme beaucoup de représentants du patronat à cette époque il était favorable à une grande Europe fasciste, autoritaire, capable de s’opposer au régime communiste de l’URSS et aussi à la machine économique américaine
Aussi, c’est en toute logique qu’après la capitulation, il a accepté à la demande des Allemands de construire des chars pour la Wehrmacht.
Y a t-il été obligé ? On ne peut qu’en douter quand on lit la lettre des officiers allemands à Hitler, vous avez ce texte dans l’exposition, où ils disent :
« Renault est d’accord mais il voudrait qu’on lui réquisitionne son usine parce qu’il a peur du sentiment nationaliste de ses cadres qui pourraient ne pas comprendre son attitude ».
Il faut savoir également que les Allemands vont lui payer ses chars et toute cette production qu’il augmente dès l’invasion de l’URSS. Grâce à cela, Renault, pendant la guerre, va amasser une fortune colossale.
Ce sont là des vérités historiques incontestables, et si on a le droit d’aimer son grand-père, on n’a pas le droit de réécrire l’Histoire.
Rappelons-nous que dans le même temps ce sont des centaines de camarades, de syndiqués, de militants des usines Renault qui vont être arrêtés pour faits de Résistance, emprisonnés, torturés, déportés, ou fusillés.
- Inauguration de l’expo Renault
- Inauguration le 21 février 2012, à la Maison des syndicats de Créteil.
La vérité, c’est que beaucoup furent dénoncés par les services du personnel de chez Renault.
Cette exposition veut aussi rendre hommage à ces camarades. Nous avons pensé qu’il était important de rappeler ces faits à un moment où l’extrême droite revient, en essayant de faire oublier d’où elle vient, à un moment où le patronat veut revenir sur les acquis de la Libération, à un moment où les usines Renault qui ont eu le succès que l’on sait en tant qu’entreprise nationale, ont été de nouveau privatisées, pour soit-disant mieux faire face à la concurrence. On voit aujourd’hui où cela nous a mené.
Aujourd’hui la procédure judiciaire suit son cours.
Grâce à l’action de l’association Esprit de Résistance et de la Fédération de la Métallurgie qui se sont portées parties civiles, la justice française vient de débouter les petits-enfants Renault, mais ils se retournent aujourd’hui vers la Cour européenne de justice, et quand on connaît le contexte européen, rien n’est joué et il faut rester mobilisés.
- Inauguration de l’expo Renault : intervention de Camille Montuelle
- Inauguration le 21 février 2012, à la Maison des syndicats de Créteil.
Enfin pour conclure, on nous a posé la question :
« Pourquoi vous avez mis la tête de Louis Renault sur chaque panneaux ? On pourrait penser que l’exposition est à sa gloire ».
Puis une amie, qui ne connaissait rien à cette histoire m’a dit :
« Ça devait pas être un si sale type que ça Renault, sinon à la Libération, quand on a nationalisé, on n’aurait pas gardé son nom ».
À vrai dire le problème n’est pas de savoir si Louis Renault était un sale type ; et cette expo, elle n’est pas contre sa mémoire, elle est là pour parler d’un patron en particulier, mais plus largement du patronat en général. Car Renault c’était avant tout un patron, typique de sa classe sociale et qui agissait là où était son intérêt de patron.
Cette expo veut juste nous aider à comprendre que le patronat quelles que soient les circonstances, parce que c’est dans la logique du système capitaliste, dans la logique de l’accumulation des profits, le patronat choisit toujours la préservation du profit, même si c’est contre l’intérêt national.
Alors qu’à l’opposé la classe ouvrière, les salariés, choisissent toujours, la solidarité, l’intérêt collectif, l’intérêt national, même au péril de leur vie.
- Inauguration de l’expo Renault
- Inauguration le 21 février 2012, à la Maison des syndicats de Créteil.
On est là face à une constante du rapport de classe.
C’était vrai hier, c’est vrai aujourd’hui. On le voit avec les politiques d’austérité : pour le patronat, qu’importe la misère des peuples en Europe pourvu que les profits soient préservés.
À l’inverse, la solution à la crise ne viendra que de la mobilisation des travailleurs pour défendre le progrès. C’est pour cela qu’on a raison de dire que les leçons du passé nous permettent de comprendre le présent.
Je vous remercie de votre attention.