Le combat pour la paix
Intervention de l’IHS du Val de Marne lors du Comité Général de l’Union Départementale CGT du Val de Marne, le 17 nombre 2022
Chers Camarades,
Merci de donner la parole à l’Institut d’Histoire Sociale de la CGT.
On sait tous l’importance de connaitre notre histoire, pour éclairer les luttes du présent.
Aujourd’hui, dans le droit fil de l’intervention de Sébastien, je voudrais évoquer les notions de guerre ? de paix et le rapport que notre syndicat a entretenu avec l’armée.
Au cours de notre histoire, ce n’est pas la première fois qu’en tant que syndicalistes nous sont confrontés au problème de la guerre, de la paix et du rôle des armées.
En premier lieu, il faut se rappeler que depuis la nuit des temps, la guerre a toujours été le quotidien des peuples. Nous avons tous appris ça à l’école les guerres de cent ans ou les guerres de trente ans. En ces temps-là l’idée même qu’on puisse vivre en paix paraissait une utopie.
Et en dehors des guerres, la classe ouvrière a souvent fait l’expérience douloureuse des forces armées.
Ce sont les canuts en 1834, la grève avait été matée par l’armée et il y aura de nombreux morts et blessés.
C’est la Commune de Paris en 1871. Le peuple de Paris avait lutté contre le blocus imposé par les Prussiens mais à la fin il est massacré par l’armée française.
Aussi dès cette époque il y a chez les travailleurs, un mélange d’esprit nationaliste, de besoin de revanche contre l’ennemi héréditaire que sont les Allemands mais aussi une grande méfiance vis-à-vis de notre propre armée.
En 1884 quand les syndicats sont enfin autorisés, on décide en même temps d’appliquer strictement la loi sur la conscription, c’est-à-dire que tous les jeunes hommes, sans exception, vont devoir faire leur service militaire.
Au début ce sera 18 mois puis on passera à 3 ans !
Pourtant le peuple n’est pas opposé à ce service militaire, car cela veut dire que l’armée va être constituée majoritairement par les enfants du peuple et plus par des volontaires comme précédemment.
Mais il faut aussi se rappeler qu’à cette époque on commence à travailler vers 13, 14 ans, et que quand les jeunes partent à l’armée cela fait déjà 4 ou 5 ans qu’ils travaillent et il n’est pas rare qu’ils soient déjà mariés avec des enfants.
Vous comprendrez que dans ces conditions, partir 3 ans c’est d’abord un problème économique.
La CGT qui de ce fait compte des syndiqués parmi les appelés, va mettre en place une caisse de solidarité pour donner aux soldats et à leurs familles, les moyens de vivre. C’est ce qu’on appellera « le sou du soldat ». il y aura des quêtes des parrainages de soldats afin d’alimenter cette solidarité.
Dans le même temps on va aussi demandée que les soldats aient le droit de se syndiquer mais sans succès.
Donc à l’époque on ne peut pas dire que la CGT soit antimilitariste. Mais très vite, et l’affaire Dreyfus va amplifier ce mouvement, on va prendre conscience que cette armée est dirigée par des officiers franchement réactionnaires et qu’en fait elle fonctionne comme une entreprise idéologique où la bourgeoisie profite du temps de service militaire pour formater ces jeunes à la discipline, au respect de l’ordre et de la hiérarchie, en somme à des valeurs très éloignées du combat de classe.
Et ceci va être renforcé par le fait, que l’armée va, de plus en plus, être utilisée contre les travailleurs.
C’est le cas resté tristement célèbre, de la manifestation de Fourmies le 1er mai 1891 où on envoie l’armée contre les manifestants et il y aura 9 morts dont des enfants.
C’est le cas à Draveil et à Villeneuve Saint Georges en 1908, quand Clémenceau envoie l’armée contre les grévistes et il y aura 4 morts et des centaines de blessés.
Face à cette répression syndicale, le débat est vif chez les travailleurs et les idées anti militaristes, voire pacifistes, vont gagner toute la CGT.
D’autant plus que c’est l’époque où les tensions montent en Europe et font craindre le déclenchement d’une guerre.
Au congrès de 1912, la CGT déclare que si la bourgeoisie veut recourir à la guerre, le peuple y répondra par la grève générale.
En juin 1914 alors qu’un nouveau conflit est imminent, la CGT appelle en effet à une grève générale internationale contre la guerre. Les syndicats allemands et autrichiens refusent de se joindre à nous et la grève sera un échec. En Aout 1914 la guerre est déclarée.
Et là on va vivre un moment fondateur dans l’histoire syndicale française :
Le gouvernement de droite appelle tous les partis et organisations ouvrières à s’unir pour soutenir l’effort de guerre. La SFIO qui à l’époque rassemble tous les partis de gauche accepte, il y aura même un ministre de l’Armement issu de la SFIO et la direction de la CGT, à l’inverse de toutes nos orientations de congrès,
va accepter également de se rallier au gouvernement.
C’est ce qu’on va appeler l’« Union sacrée ». Et les Français partent la fleur au fusil, persuadés que la guerre sera de courte durée.
Pendant la guerre, seule une poignée de militants resteront fidèles aux idées internationalistes et pacifiques de la CGT.
Mais en 1918 quand viendra l’heure du bilan, il y aura eu des millions de morts et les syndicats auront participé à cela. Alors que chez les travailleurs, l’idée que cette guerre n’a servi que les capitalistes est largement partagée. De plus en 1917, il y a eu cette révolution socialiste en Russie et ça fait rêver !
Aussi en 1919 quand Clémenceau mène avec les alliés une opération militaire en mer noire, en fait contre la révolution russe qui vient d’avoir lieu, les marins et les dockers de la CGT refusent de charger les armes sur les bateaux et cette expédition sera un échec. Cet événement est important car c’est la première fois qu’on va voir des travailleurs et des militaires ensemble dans une même action.
Pourtant à la fin de la guerre la direction de la CGT veut poursuivre cette politique de collaboration de classe, alors que beaucoup de militants inspirés par la révolution russe espèrent faire la même chose en France.
C’est de cette opposition de fond que naitra la scission entre d’une coté une CGT nationaliste et réformiste et de l’autre une CGTU pacifiste mais révolutionnaire. La scission qui va durer près de 15 ans.
En 1925, le Maroc se soulève pour son indépendance, l’armée française intervient. C’est ce qu’on appellera la guerre du Rif. La CGT, réformiste, soutient cette expédition militaire alors que la CGTU révolutionnaire s’y oppose et soutient la revendication d’auto-détermination du peuple marocain.
la CGTU lancera même une grève contre cette guerre qui regroupera jusqu’à 500.000 grévistes ce qui est un succès considérable pour l’époque.
La CGTU va même jusqu’à défendre l’idée audacieuse, que la patrie des travailleurs, ce n’est pas leur pays mais la classe ouvrière et que les frontières sont une invention bourgeoise ! En conséquence les travailleurs doivent s’opposer à toutes formes de guerre.
En 1936 devant la menace fasciste et les risques d’une nouvelle guerre mondiale la CGT et la CGTU se réunifient. C’est cette CGT réunifiée qui va être à l’origine des grandes grèves de 1936 et des avancées du Front Populaire.
Mais quelques mois plus tard c’est le début de la guerre d’Espagne el là encore la CGT se déchire.
Les réformistes de la CGT, militaristes hier, au nom de la paix, soutiennent la politique de non-intervention en Espagne, alors qu’a l’inverse les militants révolutionnaires, pacifistes d’hier, sont pour qu’on livre des armes à l’Espagne républicaine. Par la suite ce sont ces mêmes militants, qui vont participer aux Brigades internationales pour aller directement combattre en Espagne.
Il peut paraitre contradictoire que les pacifistes d’hier appelle à rentrer dans un conflit, mais en fait il n’en est rien, les révolutionnaires ont compris qu’en intervenant en Espagne on peut éviter une guerre mondiale alors qu’en laissant faire Franco, en laissant mourir la République espagnole, on va tout droit vers cette guerre. La suite des événements va leur donner raison.
En septembre 1938 a lieu la signature des accords de Munich, où la France et l’Angleterre reculent devant les exigences d’Hitler.
Au congrès de la CGT qui suit les accords de Munich, en novembre 38, les réformistes se félicitent de cet accord de paix alors que les révolutionnaires condamnent l’accord, dénoncent la capitulation face à la menace fasciste et s’oppose à tout accord avec Hitler.
Mais comme rien n’est simple, le 23 aout 1939, alors qu’il est évident que la guerre va avoir lieu, on apprend la signature entre Hitler et Staline d’un accord de non-agression, connu sous le nom de pacte germano-soviétique.
Dès l’annonce de ce pacte la droite se déchaine contre les communistes et leurs amis. Les réformistes de la CGT, vont à leur tour se déclarer outrés qu’on ait pu céder devant Hitler. Ils exigent que tous les militants CGT condamnent cet accord germano-soviétique.
Pour les révolutionnaires il faut dire que c’est un coup dur ! Pour beaucoup de militants engagés dans la lutte antifasciste, la signature de ce traité est incompréhensible. Pourtant même s’ils ne comprennent pas cet accord, ils leur paraient inconcevable de condamner le pays de la révolution socialiste.
Résultat : les militants CGT qui refusent de condamner le pacte germano-soviétique vont être exclus de la CGT. Les exclus vont alors recréer la CGTU.
Et pendant l’occupation, il n’est pas exagéré de dire que c’est majoritairement les militants de cette CGTU clandestine que l’on va retrouver dans la Résistance. Et c’est les armes à la main que ces pacifistes d’hier, vont participer à la libération de la France et permettre la mise en place du programme du CNR.
Comme quoi les militants pacifistes quand il s’agit de défendre la liberté n’hésitent pas à prendre les armes. Ce fut le cas pendant la Résistance, comme ce fut le cas pendant la Commune de Paris.
A la fin de la guerre la CGT qui s’est réunifiée en 1943 sous l’occupation, fête ses 50 ans d’existence mais elle compte aussi les nombreux camarades qui ont donné leur vie pour la liberté.
Depuis sa création le syndicat a traversé deux guerres mondiales. On vient de prendre conscience de l’horreur des camps de concentration et d’extermination nazi mais on vient aussi de découvrir l’horreur des bombes atomiques, que les Américains ont lancé sur le japon.
De cette expérience, la CGT va ressortir plus convaincu que jamais de la nécessité de s’opposer à la guerre.
Mais à cette époque, la nature de la guerre va changer. Les conflits qui vont suivre moins des conflits entre états capitalistes que des conflits de libération des peuples colonisés et d’opposition entre le camp socialiste et le camp capitaliste. C’est le début de ce qu’on appelle la guerre froide. Et dans cette bataille si la CGT est pour la paix, elle est aussi du côté du camp socialiste et du droit des peuples à disposer d’eux même.
De là vont découler des prises de positions qu’on pourrait qualifier de nuancées.
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En 1950 le mouvement de la paix lance l’appel de Stockholm pour une interdiction des armes nucléaires et pour un désarmement généralisé.
La CGT s’engage pour soutenir cet appel.
En 1952 la CGT manifeste contre la venue en France du général Ridgway et contre la création de l’OTAN qu’on dénonce déjà comme l’outil des guerres futures.
Mais en 1956 quand les chars russes rentrent dans Budapest la CGT ne condamne pas.
La même année quand débute la guerre d’Algérie, la CGT va s’opposer sans ambiguïté à cette guerre et soutenir le peuple algérien dans son désir d’autodétermination. Rappelons-nous que le 8 février 62 au métro Charonne la CGT va perdre 9 de ces militants, tués par la police parce qu’ils manifestaient pour la paix en Algérie.
De 1960 à 1975 la CGT va prendre une part active contre l’intervention américaine au Vietnam.
Mais en 62, lors de la crise des missiles à Cuba, on s’élève contre la menace risque de déclenchement d’une nouvelle confrontation, mais les militants qui l’ont vécu se rappellent, que ce pied de nez aux américains, ça nous avait fait bien plaisir.
En 1966 quand De Gaulle décide de quitter l’OTAN on approuve.
En revanche on ne dira rien de l’intervention des troupes russes à Prague en aout 1968 et en 1979 on justifiera même l’intervention de cette même armée russe en Afghanistan.
Alors on ne va pas passer en revue tous les conflits, ce serait trop long, mais on voit bien que pendant cette période de guerre froide, les prises de position pour la paix, sont compliquées.
En 1983 c’est Georges Séguy, ancien secrétaire général de la CGT, qui préside l’appel des 100 et lance une nouvelle fois la mobilisation pour réclamer un désarmement généralisé.
L’idée, qui soutent la position de la CGT en appuyant cette mobilisation, c’est que les dépenses militaires s’opposent au progrès social et que dans si on impose la coexistence pacifique, il ne fait pas de doute que dans la confrontation EST-OUEST, c’est bien sur l’EST va démontrer sa supériorité. Vous le savez la suite sera un peu différente ! Mais pour la CGT, à cette époque, le combat pour la paix redevient une priorité et il n’y a pas une seule réunion syndicale sans que soit rappeler cette orientation.
Mais en même temps le monde change. En 1974, c’est le premier choc pétrolier et chômage augmente.
La gauche arrive au pouvoir en 1981 mais en 83, c’est le tournant de la rigueur. En 89 c’est la chute du mur de Berlin. Le chômage devient la première préoccupation de français et l’extrême droite ne cesse de progresser.
Alors le combat pour la paix et le désarmement va peu à peu passer au second plan de nos préoccupation. Certes on en reparlera au moment de la guerre du Golf ou lors du conflit en ex-Yougoslavie, mais cela ne constituera plus la priorité.
En 1996 quand Chirac met fin au service militaire pour renouer avec une armée de métier comme c’était le cas avant la Révolution française, la protestation sera symbolique ! Et quand la France avec cette armée de métier ira faire la guerre en Afrique, comme elle le fait depuis plus de 40 ans, au Rwanda, en Lydie, au Tchad, en centre Afrique et j’en passe, on s’en émeut ! mais ça passe !
Et puis en période de chômage il faut dire que la France est le 3e exportateur mondial d’armement, que cela représente 2000 entreprises, 30 milliards de chiffre d’affaires et 200.000 salariés.
Donc des conflits armés il ne va pas cesser d’en avoir, en Afrique au Moyen-Orient et aujourd’hui la guerre est à nos portes et l’on évoque même la possibilité de frappes nucléaires.
La difficulté pour nous c’est de comprendre la nature de ce conflit. Nous ne sommes pas dans le cadre d’une guerre de libération, ni dans un affrontement idéologique, le capitalisme règne en Ukraine comme à Moscou. Alors qui a intérêt à ce conflit ?
Pour essayer de comprendre on peut revenir à l’histoire. C’est Jean-Jaurès en 1914 qui dans un célèbre discours déclarait :
« Le capitalisme porte en lui la guerre, comme la nuée porte l’orage ».
Ou encore en 1922 dans le journal l’Humanité, Anatole France qui écrit :
« On croit mourir pour la patrie ; on meurt pour des industriels ».
Et Karl Marx et Lénine avant eux l’avait déjà analysé : le système capitaliste, d’exploitation de l’homme par l’homme est un système économique qui régulièrement traverse des crises, qu’il est incapable de surmonter.
Vous connaissez tous ce mécanisme : le système engrange toujours plus de profits et a un moment il y a tellement de capitaux qu’il est incapable de les rentabiliser tous. Alors le système capitaliste durcie l’exploitation, puis face la contestation populaire, il s’en prend à la démocratie et aux libertés pour faire taire le peuple, c’est le recours à l’extrême droite et au fascisme, c’est ce à quoi nous assistons aujourd’hui en Europe et comme la crise persiste, il ne lui reste plus qu’une solution : la guerre, faire que les peuples se massacre entre eux plutôt que de se révolter.
Dons s’il y a des guerres, fondamentalement, c’est parce que le capitalisme en a besoin.
Ce scénario on le retrouve dans toutes les crises du capitalisme depuis le 19e siècle, en passant par 14-18, et 39-45.
Et l’on sent bien qu’aujourd’hui, nous sommes rentrés dans une nouvelle crise du capitalisme au niveau mondial, et que c’est à un scénario similaire auquel nous assistons. Cela ne veut pas dire que l’issue va être la même, d’abord parce que nous allons réagir mais cela vaut dire que le capitalisme n’exclus pas cette éventualité et s’y prépare.
Alors pour nous, c’est clair, pour en finir avec le capitalisme : Il faut que nous privions le capitalisme de ses armes. Au même titre qu’on combat l’exploitation, qu’on lutte contre la montée de l’extrême droite, on doit s’opposer à la guerre, quel qu’en soit le prétexte.
Car si le combat pour la paix est un combat humaniste, pour la vie et le bonheur sur terre c’est aussi et surtout un combat révolutionnaire.
Jacques Aubert
Président de l’IHS CGT94