Pourquoi défile-t-on le 1er mai ?
En fait, en 1789, comme je crevais la dalle, j’ai quitté ma campagne pour venir à Paris. Dans un estaminet un type s’est levé, a grimpé sur une table et a dit : « et si on prenait la Bastille ? » pourquoi pas qu’on a répondu « Et si on renversait la royauté » ? d’accord qu’on a dit, on est sorti et on l’a fait.
Mais la République ça nourrit pas toujours son homme. Alors je me suis fait embaucher dans un atelier du faubourg. Là c’était pire que les galères ! On bossait 16 heures par jour, les femmes et les gosses aussi. C’était sale, bruyant, on se blessait, on tombait malade et on était payé des clopinettes. De plus, si tu gueulais t’étais viré, les syndicats, personne savait ce que c’était.
Des années plus tard, un copain nous a dit qu’en Angleterre, un certain Karl Marx prétendait que les travailleurs ne devraient trimer que huit heures par jour et que les patrons on pouvait s’en passer. On n’y croyait pas.
Puis en 1864, à Londres y-a eu une réunion, rien que des militants. Nous, on y a envoyé le petit Eugène Varlin, un gas qui causait bien. Quand il est revenu il était tout chamboulé. Il voulait qu’on fasse la révolution. « Encore qu’on a dit ! » « Bon on va essayer ».
Et comme en plus les prussiens sont arrivés pour nous chercher des noises, là, on s’est fâché. On a fait des barricades, on a décrété « La Commune de Paris » et on a écrit nos propres lois, pour dire que c’était plus les patrons et les curés qui décidaient et que les garçons et les filles devaient aller à l’école et être payés pareil. C’est là que j’ai rencontré Marianne, elle soignait les blessés.
Mais ça n’a pas duré… ils sont arrivés avec les fusils et ce fut un massacre.
Puis en 1880, le fameux Karl Marx, qui décidément avait la tête dur, il a appelé son copain Friedrich Engels, qui a prévenu Jules Guesde, lequel en a causé à Paul Lafargue qui lui-même nous a avertis. Et on a relancé l’idée des 8 heures de travail, 8 heures de sommeil, 8 heures de loisirs.
Dans tous les pays, les travailleurs ont dit qu’on avait raison et ça gueulait si fort qu’il a bien fallut nous entendre. Du coup les syndicats ont été autorisés.
Alors en 1889, à Paris avec des Camarades d’un peu partout, on a eu l’idée de faire une journée de lutte, tous ensemble, à la même date, pour qu’on reconnaisse les droits des travailleurs à vivre mieux.
Et comme le 1er mai 1886 à Chicago lors d’une manif, ils y avaient tué des potes et que des syndicalistes avaient été condamnés à mort, on a dit que ce jour de lutte ce serait le 1er mai.
La première manifestation du 1er mai, qu’on avait baptisé « Journée internationale des Travailleurs », elle a eu lieu le 1er mai 1890. Dans plusieurs pays on a défilé et en France ont était quasiment 100.000, plus deux : Marianne et moi.
Mais l’année suivante, à Fourmies, chez nos copains mineurs, l’armée, pour faire plaisir aux patrons, elle a tiré sur la foule. Il y a eu dix morts dont deux petits gosses. C’était à vomir ! mais ça ne nous a pas arrêté et les années suivantes on était de plus en plus nombreux.
Je me souviens qu’en 1906 on était sacrément remonté parce qu’on a défilé en criant « grève générale révolutionnaire ».
Et en 1936, vu que les fachos montraient le bout de leur nez, on s’est rabiboché avec des potes avec qui on avait eu des mots et on a de nouveau défilé tous ensemble.
Mais voilà que le lendemain, un gas du havre il a été viré parce qu’il s’était mis en grève le 1er mai.
Ça, ça nous a pas plu. De suite ses collègues ont cessé le travail, d’autres usines ont suivi, puis d’autres encore et à la mi-mai il y avait un sacré paquet d’usines qu’étaient occupées et comme le « Front Populaire », la gauche unie quoi, venait de gagner les élections, on a obligé les patrons à négocier. Et on a eu les 8heures, des augmentations de salaires et des conventions collectives on a même eu des congés payés. Marianne m’a dit « Fais les valises, on va à La Baule ».
Mais la guerre est venue et ce cochon de Pétain en 41 il a voulu que le 1er mai devienne la fête du travail mais sans qu’on parle des revendications.
A la libération on a repris les défilés avec encore plus d’ardeur, même qu’en 1947 le 1er mai est devenu un jour férié, chômé et payé.
Pendant les guerres d’Indochine et d’Algérie comme pendant toutes les guerres, les manifestations ont été interdites. Ça nous empêchait pas de nous réunir mais impossible de battre le pavé.
Faudra attendre 1968 pour que le grand Charles qui sentait la température montée, autorise la manifestation du 1er mai à Paris 100.000 personnes défilent, plus Marianne et moi bien sûr. A ce moment-là on ne se doutait pas qu’on allait être plus d’un million, trois semaines plus tard.
En 2002, hasard du calendrier, le 1er mai tombe entre les deux tours de l’élection présidentielle. Et comme un facho était qualifié pour le 2e tour, c’est un million cinq cent mille (+2) qu’on était, pour dire qu’on voulait pas de ça.
Maintenant je commence à me faire vieux mais Marianne elle lâche rien. « Allez mon gas faut y aller au premier mai, parce que la lutte elle est loin d’être finie ». « T’inquiètes » que je dis, « je me rappelle encore ou j’ai rangé le drapeau rouge ».