
Jaurès et la question sociale
Spécialiste du sujet, auteur de Jean Jaurès : la CGT, le syndicalisme révolutionnaire et la question sociale*, l’historien Alain Boscus l’affirme d’emblée, « Jaurès a entretenu des liens serrés avec les militants syndicalistes de son époque ». L’universitaire et ancien élève de Rolande Trempé, la spécialiste de l’histoire ouvrière des XIXe et XXe siècles, écarte d’emblée tout contresens possible sur la personnalité de Jaurès. « Il n’est pas fils d’ouvrier, c’est un enfant de la campagne, issu d’un milieu bourgeois. Jamais Jaurès ne reniera ses racines, il n’empêche, il sera très tôt sensible à la question et à la condition ouvrières ».
Et l’historien de rappeler qu’au temps des Républicains on parlait « des » questions sociales, pas encore de « la » question sociale... « En 1890, Jaurès s’affirme socialiste et il se met à approfondir ce thème devant l’inefficacité du travail parlementaire à faire évoluer par la loi la condition ouvrière. Ne nous y trompons pas, cependant, outre sa découverte des écrits de Marx, Jaurès nourrit d’abord sa pensée des hommes et femmes qu’il rencontre, des événements auxquels il prend part : les grèves et conflits, tant à Albi, Carmaux, Graulhet ou Toulouse... ».
Si la naissance de la CGT en 1895 passe inaperçue à ses yeux, il en ira tout autrement au lendemain du congrès de l’organisation syndicale qui se tient à Montpellier en 1902 : à cette date, le syndicalisme sort de l’anonymat et Jaurès ne peut l’ignorer. De ce jour, il aura en permanence un regard rivé sur les trois forces en présence : le parti politique, le syndicat et le mouvement coopératif. « Quoique toujours en retenue face aux mouvements de violences et sur les modes d’affrontement entre ouvriers et patrons, Jaurès n’aura de cesse de chercher à comprendre. Très vite, il saisit que la violence ouvrière n’est en fait qu’une réponse, inappropriée et peut-être barbare certes, mais une réponse à une violence encore plus barbare, celle des patrons d’alors ».
Pour Alain Boscus, Jaurès est avant tout un homme qui pense en marchant et en luttant. D’où cette forme de pensée propre à Jaurès, parfois déroutante pour le lecteur : une pensée toujours en mouvement et en questionnement, jamais bloquée dans les dogmes ou les idéologies... « Lorsqu’il use des mots génériques qui symbolisent la République, Jaurès est l’homme par excellence qui ne sépare jamais la théorie des faits, l’idée du concret. Parce qu’il ne nie jamais le poids des réalités sociales lorsqu’il parle de l’homme, il parle « vrai » et on peut dire sans se tromper qu’à sa façon il ajoute toujours l’adjectif au mot : la liberté vraie, l’égalité vraie, la justice vraie... Un homme conscient du poids des mots « classe » et « peuple ».
Jaurès, pour Alain Boscus ? Un homme et une pensée à redécouvrir de toute urgence dans cette période trouble et troublée, tant pour le syndical que pour le politique, « un homme digne de figurer dans le panthéon ouvrier et syndicaliste ».