Hommage

Gérard Philipe

50e anniversaire de sa mort

Le 25 novembre 1959, il pleut sur Paris. Dans toutes les salles de cinéma de la capitale, les films s’interrompent, la lumière se fait presque en même temps… une voix s’élève au micro : « Gérard Philipe est mort ce matin…. il avait trente-sept ans » !

Silence et émotion… et puis la projection du film reprend parce que c’est la loi du spectacle.

Né le 4 décembre 1922 dans une famille aisée de la région cannoise, il passa sa scolarité dans des internats religieux. En 1936 son père, Marcel Philip, appartient à la ligue fasciste des Croix de feu. Il adhéra au Parti populaire français, devint responsable du département des Alpes-Maritimes, grand admirateur de Doriot et des théories national-socialistes.
Gérard Philip (son vrai nom) et son frère se rendaient au collège sous la protection de gardes du corps. Gérant du Parc Palace Hôtel à Grasse, Marcel Philip abrita l’état-major mussolinien.

En octobre 44, il fut interné au camp de Saint-Denis. Le 24 décembre 1945, la Cour de Justice des Alpes-Maritimes le condamnait à mort pour intelligence avec l’ennemi.
Il s’enfuit en Espagne et ne rentra en France qu’après les lois d’amnistie de 1968.

Gérard Philipe garda toujours le silence sur ce drame familial, tout en restant en contact avec son père.

Rien ne le prédisposait donc à devenir l’artiste progressiste qu’il fut !
Mais en zone libre où il vivait, il rencontra de nombreux artistes réfugiés proches de la Résistance, ce qui décida de son métier de comédien et de son engagement à gauche.

Sa rencontre avec Anne Philipe, en 1943, fut importante – femme intelligente et cultivée, ex-épouse d’un diplomate, elle exerça une influence positive sur lui.
Ils partageaient les mêmes idéaux, se marieront, auront deux enfants.
Gérard Philipe prit part à la Libération de Paris en 1944. Il fut l’un des premiers parmi 12 millions de Français à signer l’appel de Stockholm réclamant l’interdiction des armes nucléaires.

Il fut membre du Conseil National du Mouvement de la Paix, présidé par Frédéric Joliot-Curie.
Il défila en 1958 contre l’arrivée du général de Gaulle au pouvoir.
Enthousiasmé par la révolution cubaine, il fut reçu à Cuba par Fidel Castro quelques mois avant sa mort.
Il prit une part active à la lutte syndicale dans les deux dernières années de sa vie. Le syndicat national des acteurs, affilié à la CGT, était alors tiraillé entre deux tendances : un courant issu de la Résistance, novateur, et l’autre rejetant la décentralisation théâtrale, le théâtre populaire de Jean Vilar, la télévision.

La scission eut lieu.
Gérard Philipe devint président de la nouvelle organisation : le Comité National des Acteurs. Sous son impulsion, des pourparlers s’engagèrent entre les deux organisations. La fusion eut lieu dans un Syndicat Français des Acteurs le 15 juin 1958. Gérard Philipe en devint le président.
Il se révéla un vrai responsable syndical, préoccupé par les revendications des acteurs. Il souligna la précarité du métier, revendiqua la réévaluation des bas salaires, du paiement des heures de répétitions, des retraites.

La province subissait un vrai sous-développement théâtral, la capitale accaparant l’essentiel des subventions publiques. Il présenta un projet de décentralisation dramatique et lyrique, constituant huit régions autonomes financées à 40 % par l’État.
André Malraux, ministre des Affaires culturelles, préféra s’appuyer sur l’implantation des Maisons de la Culture, mais les idées de Gérard Philipe firent leur chemin.
Il rejoignit Jean Vilar en 1959, créant avec lui le Festival d’Avignon où il interpréta Le Cid, Le Prince de Hombourg, payé au même tarif que l’ensemble de la troupe alors qu’il avait déjà conquis la célébrité à travers ses nombreux films dont L’Idiot de Georges Lampin en 1945, Le Diable au corps de Claude Autant-Lara en 1946, La Beauté du diable de René Clair en 1949, Fanfan la tulipe de Christian Jaque en 1951.
Il participa à la création du TNP au Palais de Chaillot, mais n’hésita pas à jouer en banlieue lors des week-ends de théâtre qui s’achevaient par des bals. Il disait que dans les salles banlieusardes, inconfortables, sans loges, non équipées, le public le provoquait à donner le meilleur de lui-même.
Il fut l’acteur-culte des années cinquante. Il soulevait la même ferveur à Paris, à Moscou, au Japon encore traumatisé par les bombes d’Hiroshima et de Nagasaki.

Il fut un comédien incarnant le héros romantique, mais aussi les aspirations d’une jeunesse avide d’idéal, d’un monde plus généreux, refusant la Guerre froide, les guerres de Corée, d’Indochine, d’Algérie…
Être acteur était pour lui une mission de service public qu’il remplit avec passion au cinéma au théâtre, mais aussi à travers une discographie riche, allant du Petit Prince de Saint-Exupéry aux grands poètes : Victor Hugo, François Villon, La Fontaine, Apollinaire, Aragon, Éluard, des tragédies classiques du XVIIe siècle à des disques de lectures de textes de Karl Marx : Le Monde de 1715 à 1870, La lutte des classes selon Marx, des extraits du Manifeste du Parti Communiste.

Gérard Philipe repose dans son costume du Cid au cimetière de Ramatuelle où de nombreuses personnes viennent encore se recueillir aujourd’hui. Sa tombe est modeste, à l’image du sympathique comédien qu’il était.
Aragon, dans le journal France Nouvelle du 9 décembre 1959, lui rendit un hommage : « Les siens l’ont emporté dans le ciel des dernières vacances, à Ramatuelle, près de la mer, pour qu’il soit à jamais le songe du sable et du soleil, hors des brouillards et qu’il demeure éternellement la preuve de la jeunesse du monde. Et le passant tant il fera beau sur sa tombe, dira : non, Perdican* n’est pas mort ! simplement, il avait trop joué, il lui fallait se reposer d’un long sommeil ».

Madeleine Bonal